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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

vent même il les y forçait. Ainsi Pinien, riche Romain qui avait quitté Rome pour venir en Afrique s’entretenir avec saint Augustin, étant arrivé à Hippone, le peuple d’Hippone, qui savait ses grands biens et qu’il avait déjà fondé deux riches monastères à Tagaste, voulut le faire prêtre d’Hippone, afin de profiter de ses richesses ; et un jour que Pinien était dans l’église avec saint Augustin, le peuple demanda à grands cris qu’il fût fait prêtre. Saint Augustin, entendant les cris du peuple, alla le haranguer ; mais le peuple, un instant calmé, recommença bientôt ses clameurs. C’était une véritable émeute. On craignait même qu’à la faveur de cette effervescence, les méchantes gens de la ville ne se missent à piller. Il fallut, pour apaiser la sédition, que Pinien promît de se faire ordonner prêtre à Hippone et de ne point quitter la ville. Il y resta, mais sainte Mélanie, sa belle-mère, qui l’avait accompagné, disait que le peuple d’Hippone avait cherché dans Pinien, non un prêtre, mais un bienfaiteur riche et généreux, et saint Augustin avoue lui-même, en essayant de justifier le peuple d’Hippone, qu’il y avait en effet dans la foule qui avait fait l’émeute bien des pauvres et des mendians qui espéraient que Pinien leur ferait de larges aumônes[1].

Tantôt saint Augustin avait, comme à Hippone, à contenir le peuple, qui hâtait et pressait trop le bienfaiteur ; tantôt il avait à contenir le bienfaiteur lui-même, trop pressé de se dépouiller. C’étaient surtout les femmes qu’il avait à préserver de cet empressement irréfléchi. Il y en avait qui, si leurs maris s’absentaient de la maison, donnaient aux moines qui venaient demander l’aumône tout ce qu’elles avaient de plus précieux. Saint Augustin blâme sévèrement cette prodigalité indiscrète. Il ne veut pas que l’église s’enrichisse aux dépens des familles ; il ne veut pas accepter les biens qu’un père, dans sa colère contre son fils, donne à l’église, plutôt pour punir son fils que pour honorer l’église. Le peuple, qui aimait à voir grossir la fortune de l’église, murmurait de sa générosité. « Je sais bien, dit-il dans un

  1. « Cumque metueretur quidem ne aliqui perditi qui multitudini etiam bononorum plerumque miscentur, occasione seditionis inventa, insaliquam vim sceleratam rapinarum cupiditate prærumperent…

    « … Questa est de Hipponensibus quod aperuerunt cupiditatem suam, et non clericatus, sed pecuniæ causa, hominem divitem atque hujusmodi pecuniæ contemptorem et largitorem apud se tenere voluisse…

    « … Permutti inopes vel mendici qui simulclamabant et de vestra venerabili redundantia indigentiæ suæ supplementum sperabant… » (Lettres 125 et 126, tom. II, pag. 545, etc.)