Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/988

Cette page a été validée par deux contributeurs.
984
REVUE DES DEUX MONDES.

reurs, fut singulièrement augmenté par le christianisme qui fit des affranchissemens un devoir de conscience, tandis qu’il n’était peut-être auparavant qu’un calcul de prudence. Ce mouvement fut favorable surtout aux esclaves domestiques qui, placés près des maîtres, pouvaient profiter de leurs fantaisies même de bonté. Ce sont aussi ces esclaves qui entrèrent en grand nombre dans les monastères avec les anciens affranchis, les uns pour y trouver la liberté, les autres ne sachant que faire de cette liberté qu’ils avaient rachetée ou qu’ils avaient reçue. Beaucoup d’esclaves attachés à la terre ou aux métiers entrèrent aussi dans les cloîtres, et saint Augustin énumère d’une manière curieuse tous les motifs qui pouvaient attirer dans les cloîtres cette population indigente et jalouse : le dégoût du travail, l’espoir du repos et de l’abondance, et surtout l’idée de devenir les égaux de leurs maîtres ; avec ce triple attrait, les monastères devaient se peupler d’esclaves fugitifs.

Ces monastères, peuplés d’esclaves affranchis ou fugitifs, devaient être pauvres, et cette pauvreté est un des motifs qui faisaient que saint Augustin exhortait les moines au travail ; mais ces monastères s’enrichirent peu à peu par les legs et les donations qui leur furent faits. Les biens de ces grandes familles romaines, qui entretenaient autrefois dans leurs maisons et dans leurs terres tant d’esclaves et tant d’affranchis, tombaient souvent entre les mains de veuves ou de filles qui, s’éprenant de zèle pour l’église chrétienne, donnaient aux monastères quelques-uns des domaines de leurs aïeux ; de cette manière, les richesses qui servaient naguère à l’entretien des esclaves servaient à l’entretien des moines. La forme de la distribution était changée, mais la destination était presque la même.

Au Ve siècle de l’ère chrétienne, la distribution de la propriété changeait de forme de deux manières, par l’expropriation barbare et par les donations ecclésiastiques. L’expropriation que firent les barbares fut une épouvantable secousse. Les donations ecclésiastiques qui précédèrent cette expropriation, et qui eurent le mérite de conserver à l’ancienne société une part considérable dans la propriété, ces donations, loin de causer aucun désordre, remédièrent aux désordres de l’affranchissement en enrichissant les monastères, où accouraient les esclaves et les affranchis. Il était juste qu’en prenant à sa charge les prolétaires de la société romaine, l’église héritât du patriciat romain. Cette succession semblait naturelle. Aussi le peuple applaudissait-il aux héritiers des grandes familles romaines qui se faisaient prêtres et qui donnaient leurs biens à l’église. Sou-