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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

L’église, en effet, ne s’inquiète pas seulement d’affranchir les esclaves, elle s’occupe aussi de les nourrir : elle sait que la liberté sans pain est un triste présent. Aussi, quand d’une main elle essaie d’ouvrir les chambres ou les prisons des esclaves (ergastula), ou plutôt quand elle persuade aux maîtres de les ouvrir, de l’autre elle ouvre aux esclaves l’asile des monastères. Ils y trouvent la liberté, car ils ne sont plus assujétis qu’à Dieu et à la loi qu’ils ont acceptée. Ils y trouvent l’égalité avec leurs maîtres, car ils vivent avec eux sous la même règle ; ils y trouvent enfin le pain sans humiliation. Voilà l’affranchissement comme l’entend l’église, sage, régulier, qui ne jette pas tout à coup dans la société une population indigente et factieuse, qui ne fait pas que l’esclave, dépourvu plutôt qu’affranchi, se plaint de ne trouver que la misère sous le nom de liberté, et regrette l’abondance que lui faisait la servitude. Les monastères ont servi d’asiles aux esclaves affranchis : « La plupart de ceux, dit saint Augustin, qui entrent dans l’esclavage de Dieu, sortent de l’esclavage des hommes ; ce sont ou d’anciens affranchis ou des esclaves que leurs maîtres ont affranchis ou doivent affranchir dans cette intention ; ce sont des laboureurs ou des ouvriers, des hommes enfin habitués au travail du corps… Gardons-nous de ne pas les admettre dans les monastères : combien en effet parmi eux ont mérité de servir de modèles par leurs vertus !… C’est donc une bonne et sainte pensée de les recevoir sans chercher quel est le sentiment qui les amène : la volonté de servir Dieu, ou l’envie de fuir une vie de pauvreté et de travail, l’espoir d’être nourris et vêtus sans rien faire, et surtout d’être honorés par ceux qui auparavant les écrasaient de leur mépris[1]. »

Ces paroles de saint Augustin jettent beaucoup de jour sur l’histoire de l’esclavage dans les derniers temps de l’histoire ancienne. Le grand mouvement d’affranchissement commencé à Rome dans le dernier siècle de la république, comme le meilleur moyen peut-être de prévenir de nouvelles guerres serviles, et continué sous les empe-

  1. « Nunc autem veniunt plerumque ad hanc professionem servitutis Dei et ex conditione servili, vel etiam liberti, vel propter hoc a dominis liberati sive liberandi, et ex vita rusticana, et ex opificum exercitatione et plebeio labore… qui si non admittantur, grave delictum est. Multi enim ex eo numero vere magni et imitandi extiterunt… hæc itaque pia et sancta cogitatio facit ut etiam tales admittantur, qui nullum afferant mutatæ in melius vitæ documentum. Neque enim apparet utrum ex proposio servitutis Dei venerint, an vitam inopem et laboriosam fugientes, vacui pasci atque vestiri voluerint et insuper honorari ab eis a quibus comtemni conterique consueverant. » (Tom. VI, pag. 822-823.)