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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

ce genre ? Le voyageur que les païens conduisent, les marchandises qu’ils ont transportées, les récoltes qu’ils ont défendues, ne sont-ils pas souillés ? Dans ses scrupules, Publicola irait jusqu’à interrompre toute relation avec les barbares, parce qu’ils sont idolâtres ; il ne voudrait manger ni du blé qu’ils ont moulu ou plutôt écrasé (area trituratoria), ni de l’huile qu’ils ont pressée (aut torculari), ni de la viande qu’ils apportent au marché, parce qu’ils en ont peut-être offert une partie à leurs idoles ; il ne voudrait même pas, dans le désert, boire à la source ou au puits qu’ils ont consacré à leurs dieux. Saint Augustin éclaire et rassure sa conscience sur ces divers point : « Je plains le barbare qui jure par les faux dieux, dit saint Augustin, mais je le plains surtout s’il manque à son serment, et j’aime mieux le serment fait aux faux dieux, s’il est respecté, que le serment fait au vrai Dieu s’il est violé… Vous craignez de pécher en jouissant de la paix que font avec vous les barbares, parce qu’ils la consacrent par un serment ; mais, avec ce scrupule, je ne sais pas dans quel coin de la terre nous pourrons vivre ; car ce n’est pas seulement sur la frontière des Arzuges que nous avons une paix consacrée par le serment des idolâtres, c’est dans tout l’empire. Si nous croyons à la souillure des récoltes qu’ils ont juré de défendre, croyons aussi alors à la profanation de tous les biens de la paix, car la paix est fondée partout sur leurs sermens… Ne craignez pas non plus de boire au puits où les barbares ont pris de l’eau pour leurs sacrifices : craignez-vous de respirer l’air ? et pourtant l’air reçoit la fumée de tous les sacrifices qui se font sur les autels des démons. N’honorons pas les faux dieux ; mais, quand nous appliquons à l’usage du peuple ou à l’honneur de Dieu les choses consacrées aux faux dieux, sachons que nous faisons des choses comme des hommes eux-mêmes, que nous convertissons au vrai Dieu, d’impies et d’idolâtres qu’ils étaient auparavant[1]. »

Je cite avec plaisir ces belles paroles de saint Augustin, parce qu’elles montrent que, loin d’interrompre les relations établies entre les colons et les barbares, il les autorisait, en dépit des scrupules

  1. « Si barbarus tali juratione promissam fidem custodit, ideo tantum peccasse judicatur, quia per tales deos juravit ; illud autem nemo recte reprehendet, quod fidem servaverit… Sine ulla dubitatione, minus malum est per deum falsum jurare veraciter, quam per Deum verum fallaciter… Alia vero quæstio est, utrum ea pace debeamus uti quæ inter barbaros jurantes facta est. Quod si nolumus, ubi vivamus in terris, nescio utrum invenire possimus. Neque enim tantummodo limiti, sed universis provinciis pax conciliatur juratione barbarica. Undè et illud sequetur, ut non fruges tantum quæ ab eis custodiuntur, qui per Deos falsos juraverunt, sed