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et plus rapproché avec M. Thierry, la pensée originale avait de quoi s’exciter dans son entrain naturel et ne pouvait qu’acquérir vite tout son ressort.

Ce qui me frappe surtout dans le cours de l’ouvrage, c’est la quantité d’esprit que l’auteur y a versée, je veux dire la quantité de vues, d’aperçus, d’ouvertures de toute sorte et de rapprochemens. Je suis fâché pour l’érudition, qui y est fort étendue et de source, que certains détails de reproduction matérielle aient fait défaut. La ponctualité matérielle même, il ne faudrait pas l’oublier, est une partie, non-seulement de la solidité, mais aussi de l’élégance en ces sortes d’ouvrages. Le talent d’expression y est éminent : je ne serais pas étonné que par endroits, pour quelques yeux chagrins, ce talent ne voilât presque, ne déguisât dans de trop riches images le fin de l’esprit et le réel de l’érudition. Plus d’un aperçu ingénieux aurait gagné, je le crois bien, à être rendu d’une manière plus simple, plus purement spirituelle, et avec l’habitude si française de l’auteur. Au reste, ce qui est éclatant, noble et d’une élévation éloquente, je l’accepte de grand cœur et le salue. En fait de talent, le luxe n’est pas déjà chose si vulgaire. Assez d’honnêtes gens dans ces doctes matières s’en scandaliseraient volontiers, et pour cause ; ce serait le cas de leur répondre avec le poète — « Ah ! cesse de me reprocher les aimables dons de Vénus ; les dons brillans des immortels ne sont jamais à dédaigner ; eux seuls les donnent, et ne les a pas qui veut. » Je ne voudrais décidément rabattre dans la manière de l’auteur que ce qui semblerait trahir le voisinage d’une école dont son excellent esprit n’est pas. M. de Saint-Priest possède à un haut degré les qualités littéraires : il en faisait déjà preuve dans sa jeunesse, et, quoiqu’il l’ait sans doute oublié lui-même aujourd’hui, d’autres que l’inexorable Quérard se souviennent encore de gracieux essais par lesquels il préludait avec aisance et goût dans la mêlée, alors si vive. Je regretterais trop de quitter ses savans volumes sans donner idée du caractère animé, brillant et tout-à-fait heureux, de bien des pages, et je détache de préférence, comme échantillon, celles où il nous exprime l’état vivant des croyances et des mœurs rustiques dans le midi de l’empire au lendemain de Théodose. On pourrait citer d’autres passages plus imposans et plus énergiques, mais aucun assurément de plus gracieux :

« Dans toutes les villes, les temples tombaient à la fois sous la spoliation et l’anathème ; il n’en était pas ainsi des campagnes. Là, les croyances étaient des impressions et non des doctrines ; elles