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le néant de la tombe a ressaisi sa proie. Privée d’inspiration, d’alimens, de croyances, consumée par la tristesse et par l’ennui, elle s’est mise alors, comme Colomb, à la recherche d’un nouveau monde, elle le cherche encore. En attendant qu’elle l’ait découvert, elle s’est réfugiée avec Léopardi, cet élu de la douleur, dans les profondeurs inexplorées encore par elle de la nature et de l’homme. Cette seconde phase s’est accomplie à côté de Pellico, sans qu’il y prît une part directe, et pourtant il avait traduit Manfred ! Agenouillé aux pieds des madones, détaché de tout, il s’absorbe volontairement dans les mystères et dans les rits des sacristies. La fumée de l’encens dérobe à ses yeux les grands horizons de l’avenir ; la psalmodie de l’orgue l’empêche d’entendre les mille voix de ses contemporains qui souffrent et qui doutent, mais qui, tout en doutant, espèrent et combattent. Pellico n’est pas plus le poète de l’avenir qu’il n’a été celui du passé ; on ne peut même pas dire qu’il soit le poète du présent, car il ne vit pas de la vie de son siècle, il ne le résume ni ne le reflète ; il a rompu avec lui. Dans son tête-à-tête éternel avec le Dieu qu’il sert, il ne laisse plus tomber sur les choses humaines que des regards indifférens. C’est là, il faut bien le reconnaître, une existence exceptionnelle ; toutefois, si exceptionnelle qu’elle soit, cette existence formulée puissamment par un grand artiste aurait pu avoir sa gloire et même son utilité. Pellico semble l’avoir compris en écrivant ses derniers vers ; malheureusement sa personnalité n’est point assez forte pour féconder sa muse, pour s’imposer, et ses poésies les plus intimes manquent d’individualité. Léopardi, sous ce rapport, et sans parler même de la forme, a pris un bien plus grand vol.

Ainsi, Pellico n’a pas fondé d’école, et n’a point créé de types. Il relève de quelqu’un, personne ne relève de lui. Poète de transition, il touche à deux époques distinctes, et n’a imprimé son cachet à aucune des deux. On ne peut, à la vérité, lui reprocher ni excentricité de plans, ni écarts de style ; mais ce qui fait vivre les œuvres d’art, c’est moins l’absence des défauts que la présence des beautés. Pourtant le nom de Silvio vivra : le prisonnier a décerné au poète un brevet d’immortalité.


Charles Didier.