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Les Poésies inédites sont écrites en terzines, en octaves ; on y trouve toute espèce de mètres. Porté par la rime et par la strophe, le poète y est moins diffus que dans ses cantiche ; sa phrase a même du nombre, de la mélodie, mais le style fait défaut, et, pour tout dire, Silvio Pellico n’a pas reçu ce don suprême de la forme qui distingue les grands poètes et crée les œuvres monumentales. L’élégance et l’énergie lui manquent également, ou du moins il ne les possède pas à un degré supérieur ; puis il n’est pas neuf, il n’est pas inventeur ; les critiques italiens lui font tous le même reproche. C’est la faute de sa naissance autant que de son esprit : il est Piémontais, et les Piémontais ne sont pas écrivains. Voyez ce qu’il a fallu à Alfieri de temps, d’études, de combats, de volonté, pour se créer une langue ; à quarante ans, il n’en avait pas encore, et il a dû se naturaliser Florentin pour écrire. Encore n’est-il jamais parvenu au style facile et primesautier des maîtres ; son vers est raide, parce qu’il n’est pas spontané ; l’effort s’y sent à chaque mot ; bien loin d’être un modèle, c’est une imitation souvent gauche et toujours pénible. On ne peut se faire une idée en France de l’idolâtrie des Italiens pour la forme. L’effet des Sepolcri, par exemple, sur la jeunesse italienne est prodigieux. Cette adoration du style se porte sur la prose comme sur la poésie, témoin Giordani. Des opuscules sur les beaux-arts, des lettres critiques, un panégyrique de Napoléon, voilà, je crois, tous ses titres littéraires. Eh bien ! telle est la magie de sa plume, que les Italiens en sont fous littéralement. Une page manuscrite de lui fait le tour de l’Italie, elle passe de main en main, on se la dispute, on se l’arrache comme une relique. Il fut arrêté vers 1831. « Prenez garde à ce que vous faites, dit-il à l’officier de police ; si j’écris sur un carré de papier que vous êtes un sot (le mot italien est encore moins poli), cent mille personnes le répéteront dans vingt-quatre heures. » Et ce n’était point là une bravade de fanfaron ; ce que disait Giordani, il avait le droit de le dire : la chose serait arrivée comme il l’annonçait. Certes on peut déplorer cette déification, ce fétichisme de la forme ; mais c’est un fait, et cet excès même accuse un peuple artiste.

Les critiques italiens les plus sévères exceptent de l’anathème lancé par eux sur le style de Silvio une petite canzone sur le soleil composée au Spielberg : ils la déclarent parfaite, et la regardent comme un bijou digne d’être enchâssé dans l’or. En voici le sens, car, pour la forme, il est clair qu’elle est perdue pour quiconque ne lit pas l’original. Nous reproduisons une traduction qui n’est pas de nous.