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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE L’ITALIE.

rédacteurs du Conciliateur furent frappés en masse. Étaient-ils carbonari ? Il ne nous appartient pas de résoudre une question si délicate ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils furent traités comme tels. On nourrissait d’ailleurs contre la plupart d’entre eux les vieilles rancunes de 1815. Le comte Porro, Berchet, Pecchio et quelques autres échappèrent par la fuite aux horreurs des articles 54 et 55. Pellico fut moins heureux : on l’arrêta à Milan, le 13 octobre 1820.

Personne n’a le droit de raconter après lui les dix ans qui suivent, et d’ailleurs à qui est-il besoin de les raconter ? La prison de Sainte-Marguerite, les plombs de Venise, la Piazzetta, le Spielberg, tous ces lieux, tous ces noms funestes, ont reçu de la victime elle-même une triste mais immense popularité. Les années de la captivité ne furent pas entièrement perdues pour le poète. Le 29 mai 1821, il terminait sous les plombs Iginia d’Asti, et, au mois de juin suivant, Ester d’Engaddi, deux tragédies écrites à la dérobée, pour ainsi dire, et au milieu de circonstances qui, abstraction faite du mérite littéraire, leur donnent un vif intérêt. Quatre cantiche furent composés de la même manière et à la même époque. Avant de quitter l’Italie, Silvio pria la commission criminelle de faire passer à sa famille ses deux tragédies comme son testament littéraire ; on le promit. Comme on tardait à mettre la promesse à exécution, le prisonnier demanda la cause de ces longs retards : on lui répondit qu’à la vérité ses pièces avaient paru irréprochables à la censure, mais que sa famille les livrerait peut-être à la publicité ; or, il ne convenait pas que l’Italie applaudît un homme frappé par la justice impériale. Il fallait que Silvio pérît tout entier, lui, son œuvre, et jusqu’à son nom. — Une autre tragédie, Leoniero da Dertona, fut composée au Spielberg même, sans livres, sans papier, sans plume, et sauvée du néant par la mémoire du prisonnier.

Vers 1828, le bruit de sa mort se répandit au-delà des Alpes. Je me trouvais alors en Italie, et je puis témoigner de la douloureuse émotion que cette fausse alarme éveilla dans tous les cœurs. On s’abordait dans les rues en se disant : — Vous savez ? — Quoi ? — Il est mort. — On ne demandait pas le nom, chacun avait compris. Une ode de circonstance, attribuée à Barroni, courut alors manuscrite d’un bout à l’autre de la péninsule. Le succès en fut immense. C’était plus qu’un succès littéraire ; c’était une protestation nationale, et la sympathie publique éclata en faveur du martyr avec une touchante unanimité. Tous les yeux se mouillaient lorsqu’après avoir peint la solitude, les tortures du carcere duro, le poète s’écriait en finissant :