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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE L’ITALIE.

Malgré ses nombreuses mutilations, le Conciliateur vivait toujours, mais les lacunes devenaient chaque jour plus fréquentes, et si énormes, qu’il s’en fallait de peu que le journal ne fût réduit au titre et aux signatures. Enfin, un beau matin, il ne parut pas ; prononcé depuis long-temps, son arrêt de mort venait d’être exécuté. Il avait vécu une année, de 1819 à 1820. Sa vie avait été courte, mais glorieuse, et l’impulsion donnée par lui aux lettres italiennes est encore sensible aujourd’hui, quoique les questions aient beaucoup marché depuis vingt ans.

Nous touchons à une époque critique dans la vie de Silvio Pellico. La révolution de Naples venait d’éclater, celle de Piémont suivit de près. Cette double explosion, qui embrasait l’Italie par les deux bouts, produisit dans les états lombardo-vénitiens une fermentation extraordinaire. À la chute de l’empire, ces belles et malheureuses provinces réagirent, on le sait, contre la domination française avec une violence qui alla jusqu’à l’effusion du sang, témoin l’infortuné Prina. Déjà, avant cette fatale époque et pendant la toute puissance de Napoléon, de sourdes hostilités s’étaient manifestées contre le despotisme ultramontain ; on a conservé le souvenir de la conspiration manquée, mais redoutable un moment, du vertueux curé Passarini. Napoléon tombé, le ci-devant royaume d’Italie songea à s’assurer une existence indépendante sous le sceptre d’un roi constitutionnel. Les uns avaient jeté les yeux sur Eugène, les autres sur Murat ; on offrit même, dit-on, la couronne au comte Melzi, qui, vieux et infirme, répondit en montrant ses béquilles. On ne voulait plus des Français, et on redoutait les Autrichiens. Une régence de sept membres fut instituée provisoirement ; son premier soin fut d’envoyer une députation à lord Bentinck, qui se trouvait alors à Gênes. Lord Bentinck avait donné, en 1812, une constitution à la Sicile, et publié à Livourne, en 1814, un manifeste où il appelait les Italiens à la liberté ; il passait de plus pour carbonaro. Ces antécédens inspiraient aux Italiens une confiance que son accueil parut justifier. Lord Bentinck promit à la députation milanaise d’appuyer ses réclamations et ses vœux auprès des souverains alliés réunis à Paris ; il tint parole, mais sans succès. Son intervention, toute personnelle d’ailleurs et nullement officielle, ne pouvait prévaloir contre la force des choses. L’empereur d’Autriche fut confondu de l’audace de ses anciens sujets « Allez, répondit-il au comte Confalonieri[1], qui lui avait été dé-

  1. Le comte Confalonieri, dont le nom a depuis acquis en France une certaine popularité, avait été un des plus chauds adversaires de la domination française et du parti français : le premier, dit-on, il avait lancé des pierres contre le portrait de Napoléon qui ornait la salle du sénat, et il l’avait jeté par les fenêtres après l’avoir lacéré à coups de canne.