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mante se glissait mystérieusement à travers les barreaux du Spielberg, pour consoler le prisonnier.

Turin était alors en république, et M. Onorato Pellico, malgré ses opinions monarchiques, ne laissait pas de fréquenter les assemblées populaires ; il y conduisait ordinairement son fils, qui recevait là, malgré son extrême jeunesse, des impressions fortes et durables. Cette représentation vivante des luttes du forum jeta dans son ame des germes de liberté qui, bien qu’atténués par une organisation tempérée, devaient plus tard porter leurs fruits,… des fruits bien amers.

Quelque temps après, le jeune Silvio quitta l’Italie pour s’établir à Lyon chez un M. de Rubod, cousin de sa mère. Là, sa vie change ; il va dans le monde, il le recherche ; il l’aime, il se partage entre les plaisirs et l’étude des lettres françaises ; il se passionne pour nos chefs d’œuvre, pour nos mœurs, et cette époque de sa jeunesse lui a laissé des souvenirs si vifs, qu’il s’écrie trente ans plus tard : « Où est ma jeunesse ? Où sont les bienheureuses années d’amour passées au bord du Rhône[1] ? » Il déplore bien, il est vrai, les doctrines irréligieuses qui avaient cours en France, les mauvais livres qu’il y lisait, l’endurcissement de son cœur, et l’orgueil de ses pensées ; mais il se console en se rappelant qu’il y vit renaître le catholicisme, ce qui fut pour lui, dit-il, une lumière éblouissante au milieu des ténèbres de son intelligence. Ces pieux regrets ne s’éveillèrent d’ailleurs en lui qu’après bien des années, et lorsque l’élément mystique eut absorbé tous les autres.

Il était à Lyon depuis quatre ans, jouissant de la vie, quoi qu’il en dise, et prenant goût à la France, lorsque tout à coup il se fit en lui une révolution. Il devint triste, rêveur ; ses yeux se tournaient souvent du côté des Alpes ; il avait le mal du pays. Les Tombeaux, de Foscolo, venaient de paraître, un exemplaire lui en avait été envoyé d’Italie, et cette lecture avait produit sur lui l’effet du ranz des montagnes sur le Suisse exilé. Un immense regret de la patrie absente s’était emparé de tout son être, et l’Italie ressaisit le poète prêt à lui échapper.

La famille Pellico s’était transplantée à Milan, où M. Onorato occupait un emploi au ministère de la guerre. Silvio, à son arrivée dans cette ville, fut nommé professeur de français au collége des orphe-

  1. Dov’è mia gioventù ? Dove i bëati
    Anni d’amor, del Rodano appo l’onde ?

    (Poés. inéd.)