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UN POINT D’HONNEUR.

s’approcha d’un pas léger de la chambre où reposait sa sœur. La porte en était comme toujours ouverte. La chaste enfant, à l’abri de toute défiance et de toute crainte, dormait d’un sommeil paisible ; elle s’était habituée à vivre sous l’égide de son frère. Albert voulut contempler à loisir une dernière fois les traits de sa sœur bien-aimée. Il souleva avec précaution les rideaux de mousseline qui l’enveloppaient. La douceur angélique de son visage empruntait au sommeil un reflet de sérénité plus pur encore que dans la veille. L’attitude de cette jeune fille endormie avait une pudeur admirable, et faisait songer à la nature des anges. Le contraste de ce calme virginal avec les agitations de son ame frappa vivement l’artiste. Il fut heureux de voir que la paix bannie de son cœur protégeait les êtres qui lui étaient chers, et que le monde n’avait pas encore flétri cette timide fleur de ses souffles empoisonnés. Bientôt cependant il pensa au coup que lui-même allait porter à cette frêle organisation ; il se dit que le premier il allait révéler la douleur à cette ame vierge ; il songea au lendemain qu’il préparait à ses rêves dorés de jeune fille. Cette idée le fit frémir, et parut ébranler un moment ses résolutions. Toute sa force lui suffit à peine pour l’éloigner d’un lieu dont la vue lui était à la fois si douce et si cruelle. En passant devant la chambre de sa mère, il s’agenouilla un moment au seuil, parut lui faire une invocation mentale que la noble femme entendit sans doute à travers les voiles du sommeil, puis il rentra.

Le reste de la nuit fut employé par Albert à mettre en ordre divers papiers assez nombreux et à écrire plusieurs lettres. Deux entre autres parurent l’occuper plus particulièrement. L’une, adressée à Julien, était ainsi conçue :

« Cher Julien,

« Je suis au moment d’accomplir l’acte suprême et inévitable de tout homme ici-bas, celui de la mort. Quand tu liras cette lettre, ton ami ne sera plus. Garde-toi de préjuger à ce mot quelque faiblesse ou quelque folie de ma part. Tu me connais, tu sais que mon ame est inaccessible à un lâche découragement ; mais tu sais aussi que je suis incapable de supporter une vie qui ne soit pas entièrement honorée. Tu te rappelles, Julien, l’offense qui m’a été faite et que j’ai laissée impunie ; je l’ai dévorée en silence pendant plusieurs mois. Confiant dans ma loyauté, tu me disais que tu n’avais pas be-