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journée. Son ardeur avait quelque chose de fébrile. Il se hâtait comme s’il eût été pressé de finir, comme si un terme de rigueur lui eût été imposé. Pour qui l’eût vu ainsi, il eût été évident qu’une forte passion agitait l’ame de l’artiste, qu’un projet inaccoutumé fermentait dans son cerveau. Julien, qui avait seul droit de pénétrer dans l’atelier, s’étonnait de ce surcroît de zèle. Se méprenant sur la cause d’une telle ardeur, il félicitait Albert avec l’empressement de l’amitié.

— Allons, je savais bien, lui disait-il, que tu secouerais le poids du chagrin. Tu as l’ame stoïque ; tu aimes ton art, et l’art, élevé à une certaine puissance, a des remèdes magiques contre les maux de l’opinion. D’ailleurs cette opinion reviendra un jour à toi ; tu feras connaître les motifs de ta conduite, que d’avance je reconnais légitimes. Le public passe aisément de l’excessive défaveur au pôle contraire. Je n’ai jamais cru, pour ma part, à l’injustice permanente, au règne indéfini du faux sur le vrai. Toute chose d’ici-bas a son retour, et, en dernière analyse, tout est bien, même le mal.

Albert eût pu répondre à cet optimisme imperturbable par des argumens et des preuves sans réplique. Il se contentait de regarder Julien avec un sourire mélancolique. Le plus souvent, plongé dans sa rêverie ou absorbé dans son travail, il n’entendait pas même la voix de son ami. Revenu à lui, il s’empressait alors de lui serrer silencieusement la main.

Après plusieurs mois d’un labeur assidu, la tâche d’Albert était enfin terminée. Un jour que Julien, après une absence plus longue que de coutume, entrait dans l’atelier, il jeta un cri de surprise. Dans le fond, la statue, naïve et fière d’attitude, se dressait sur un socle élevé. L’artiste l’avait ainsi disposée dans le jour le plus favorable, avec la piété d’un père qui fait montre de son enfant. Il était là debout comme une garde d’honneur qui veille à côté d’un dépôt sacré. Le cri de Julien venait de lui retentir au cœur ; il avait compris que c’était là un cri d’admiration. Il était fier et reconnaissant de ce suffrage tout spontané.

— Eh bien ! lui dit-il avec une joie mal contenue en lui tendant la main, le premier témoignage qui m’arrive est donc un témoignage d’adhésion ? Cela est de bon augure. Ton amitié éclairée et sévère s’enthousiasme difficilement ; le sentiment qu’elle vient de faire paraître ne saurait m’être suspect, et, puisque tu es content de l’œuvre, le public ne saurait lui refuser son suffrage. Cher Julien, j’ai donc réussi au gré de mes vœux, et c’est toi qui me paies le premier prix de ma peine.