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cette forme de discussion est de bonne guerre, de bonne et légitime méthode.

L’auteur va plus loin : il fait descendre sur cette race mérovingienne et sur son droit inné une sorte de mysticisme demi-asiatique, demi-scandinave, et il en personnifie le résultat idéal dans la figure de Brunehaut. Pour lui, cette belle reine venue d’Espagne est un type qui représente, dans sa dernière expression, l’ascendant et l’idée de la royauté barbare sur cette troupe encore nommée les fidèles, mais qui sera bientôt la féodalité armée. Le premier grand échec que reçoit la légitimité mérovingienne date de la condamnation juridique de Brunehaut. Cette noble femme, une fois associée aux destinées des petits-fils de Clovis, aurait tenté, dans toute sa carrière, de restaurer la puissance déjà déclinante de la vieille race, de combattre à mort l’opposition conjurée des leudes et des évêques, et de déjouer, au nom d’une haute et souveraine idée, les essais de féodalité ou d’aristocratie naissante, ou même d’organisation synodale. Vers ce temps, en effet, l’Espagne et la Lombardie étaient d’un mauvais exemple pour les Francks, la Lombardie avec ses trente-cinq ducs et ses formes précoces de féodalité, l’Espagne avec ses conciles de Tolède et sa royauté soumise aux évêques Ces circonstances collatérales, et le jeu qu’elles pouvaient avoir par contre-coup, sont très ingénieusement présentés par M. de Saint-Priest. Brunehaut, pour triompher des difficultés intérieures et se donner un point d’appui au dehors, tend la main au pape saint Grégoire, qui reprenait, de son côté, l’œuvre d’agrandissement du Saint-Siége. Elle aide la mission que ce pape envoie en Grande-Bretagne, et obtient de Rome des conditions qui, favorables aux priviléges des monastères, tendent à restreindre le pouvoir des évêques diocésains. Mais saint Colomban, arrivé tout exprès d’Irlande en France, y saisit en main l’influence religieuse, contrarie les directions romaines et se pose en ennemi mortel de Brunehaut. Ces trois personnages, saint Grégoire, saint Colomban et Brunehaut, se balancent à merveille. Celle-ci, dans la réhabilitation idéale qu’on en trace, aurait du moins eu la gloire d’avoir entrevu à l’avance quelque vague rayon de la politique de Charlemagne. Aussi la comparaison qu’on fait d’elle à Frédegonde, sa rivale accoutumée, semble-t-elle à notre auteur une injure. Le personnage sanglant de Frédegonde n’est qu’un détail, un accident de la barbarie ; Brunehaut tient à l’histoire de l’esprit humain. Quand elle meurt de l’affreux supplice, quand elle disparaît attachée aux crins d’un coursier sauvage, c’est la royauté elle-même, c’est la royauté asiatico-germanique