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LE CANADA.

Canada un avenir exclusivement anglais, cet avenir, destiné sans doute à exercer une influence considérable sur les affaires de l’Amérique du Nord, ouvre le champ à de vastes prévisions.

Jusqu’à présent une seule nation, la nation anglo-américaine, a atteint dans cette partie du monde un puissant développement. Lorsque le nouveau peuple que l’Angleterre forme à côté de l’Union sera arrivé au degré de force et de prospérité que tout semble lui promettre, quelles seront les relations de ces deux peuples de même origine, de même langue, et qui ont puisé dans la conquête du désert le même principe social, l’égalité ? La similitude de race et de constitution sociale suffira-t-elle pour les rapprocher politiquement et les réunir en un même empire ? Ou des intérêts différens élèveront-ils entre eux une barrière durable ? Cette question mérite d’attirer dès aujourd’hui une attention sérieuse. Il est certain que, lors même que l’Angleterre n’espérerait pas rendre permanent le lien qui l’unit à ses colonies de l’Amérique du Nord, son but doit être d’y fonder un état qui puisse être pour la république américaine un redoutable adversaire. On a vu que c’est la pensée qui a déjà inspiré à sir R. Peel le projet d’une confédération des colonies britanniques dans cette partie du monde. Cette pensée sera-t-elle réalisée ? Comment le sera-t-elle ? Le succès en est subordonné à un grand nombre de circonstances que de vagues hypothèses ne sauraient atteindre. Mais il est une chose à laquelle l’Angleterre peut et doit travailler, dans la prévision de toutes les éventualités : c’est à placer la constitution politique de ces nouveaux établissemens sur des bases radicalement différentes de celles de la république des États-Unis. L’Union est une démocratie fédéraliste : que l’Angleterre fasse des établissemens qu’elle formera sur les bords des grands lacs, réunis à ceux qui couvrent les rives du Saint-Laurent, une vaste démocratie unitaire. La réunion des deux Canadas est le premier pas dans cette politique. En portant la capitale de la colonie fort avant à l’ouest, dans la partie vers laquelle la colonisation s’étend sans cesse, l’administration anglaise a fait un pas vers ce but ; elle doit persévérer dans cette voie. Si elle parvient à créer dans le Canada une démocratie unie et centralisée, elle aura beaucoup fait pour l’empêcher de s’absorber dans l’Union américaines ; elle aura fondé un état qui sera toujours bien fort contre une république morcelée par le fédéralisme.


P. Grimblot