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chait de si près aux intérêts du Bas-Canada, ne fut pas soumise au vote de sa législature. Dès-lors la question de race et de nationalité domina dans les esprits les plus exaltés les griefs particuliers des Canadiens : « La métropole, s’écriait un des membres de la chambre d’assemblée, la métropole, pour se débarrasser de ses mendians, les jette par milliers sur nos rivages. » — « Il existe ici, disait un journal canadien[1], deux partis opposés par les intérêts et par les mœurs, les Canadiens et les Anglais. Français, les premiers ont les habitudes et le caractère français ; leurs pères leur ont légué en héritage la haine des Anglais, qui, à leur tour, détestent en eux des enfans de la France. Ces deux partis ne peuvent subsister ensemble : leur réunion forme un mauvais alliage de mœurs, d’habitudes et de religions, qui doit tôt ou tard conduire à une collision violente. » — « En examinant attentivement ce qui se passe autour de nous, disait une autre fois le même journal, il est facile de nous convaincre que notre pays est placé dans des circonstances très critiques, et qu’une révolution sera peut-être nécessaire. Nous avons une constitution à réformer, une nationalité à maintenir : le seul moyen de conserver notre nationalité est une séparation immédiate de l’Angleterre. » Ce langage était désavoué, il est vrai, par les chefs sérieux du parti canadien : animés par des vues plus sages et plus politiques, ils s’efforçaient de placer leur cause sur une base plus large que celle des antipathies de race ; fiers de leur origine française, ils ne voulaient pas qu’elle fût un titre d’infériorité politique ; mais ils n’élevaient pas leurs prétentions au-dessus des droits accordés par l’Angleterre à ses autres colonies. Ils tenaient à renfermer exclusivement le débat sur le terrain même où l’avaient soutenu autrefois les états de l’Union défendant leurs intérêts domestiques contre les usurpations de la métropole.

Cependant le ministère anglais se trouvait, à l’égard du Bas-Canada, dans une situation critique. Le refus prolongé du budget de l’administration mettait dans un cruel embarras les fonctionnaires de la colonie. La chambre d’assemblée avait posé son ultimatum. Elle subordonnait l’octroi des subsides aux conditions suivantes : l’assimilation du conseil exécutif qui assistait le gouverneur de la colonie au ministère responsable des monarchies constitutionnelles, dont la

  1. Ce journal était la Minerve. Il y avait alors au Canada huit journaux français, dont la plupart ont cessé de paraître, les uns supprimés par l’autorité anglaise, qui a fait briser leurs presses, les autres parce que leurs rédacteurs ont été forcés de s’expatrier.