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LE CANADA.

du désert, de jeunes femmes qui, après avoir été élevées au milieu de toutes les délicatesses des grandes villes, étaient passées presque sans transition de la riche demeure de leurs parens dans une hutte mal fermée au sein d’un bois. La fièvre, la solitude, l’ennui, n’avaient point brisé les ressorts de leur courage. Leurs traits semblaient altérés et flétris, mais leurs regards étaient fermes. Elles paraissaient à la fois tristes et résolues. »

Les rapides accroissemens de la race anglaise étaient faits pour alarmer les Français du Bas-Canada. Le chiffre des émigrans croissait dans une effrayante progression : en 1829, 15,000 Anglais avaient débarqué à Québec ; en 1830, 28,000 ; en 1831, 50,000 ; en 1832, 51,000. Ce flot de population toujours grossissant ne pouvait tarder à envelopper, à absorber même les Français canadiens. Encore jusqu’à cette époque le plus grand nombre des émigrans ne faisaient-ils que traverser le Bas-Canada pour se rendre dans la province supérieure ; mais, en 1833, au moment même où les Canadiens se voyaient refuser le gouvernement réel de leurs propres affaires, un fait nouveau vint menacer de plus près l’avenir de leur nationalité. Une puissante compagnie se forma à Londres pour attirer l’émigration sur le territoire même du Bas-Canada. La British American land Company acheta de la couronne près de 4 millions d’hectares formant huit comtés et cent townships dans la partie orientale du Bas-Canada, sur les deux rives du Saint-Laurent. Ces possessions offraient à l’émigration de brillans avantages. Leur situation compacte et contiguë assurait entre leurs diverses parties la facilité des communications et un appui mutuel aux colons qui viendraient s’y établir ; la proximité du fleuve leur donnait un facile accès aux grands ports et aux marchés les plus importans du Bas-Canada, et le voisinage de l’Océan les mettait à même d’user des communications maritimes. Enfin, pour aider à la prompte exploitation de ces vastes terres, le gouvernement avait laissé à la compagnie, sur le prix d’achat qu’elle s’était engagée à lui payer, une somme de 1,250,000 francs pour être employée en travaux d’utilité publique, en constructions de routes, de canaux, de ports, d’écoles, d’églises, de presbytères. De son côté, la compagnie cédait la terre à un prix très bas, dont elle n’exigeait immédiatement que le quart ou le cinquième ; le reste pouvait être payé en six années.

L’établissement de cette compagnie, qui ne menaçait les Canadiens de rien moins que d’une invasion anglaise, fut sanctionné par un acte du parlement britannique en 1833, et cette mesure, qui tou-