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partie de notre gouvernement. Cela ne serait pas si le bill était adopté, puisqu’il leur donnerait l’apparence d’une constitution, tout en leur en refusant la substance. » Malgré la justesse de ces observations, le bill fut voté dans les termes proposés par M. Pitt.

Lorsque les Anglais s’étaient emparés du Canada, les familles riches et éclairées avaient abandonné la colonie, il n’y était resté que les paysans et le bas clergé, qui acquit sur ces masses ignorantes un ascendant qu’il a conservé jusqu’à nos jours. La population française du Canada avait donc à se former elle-même. Encore trop inexpérimentée en 1791 pour pouvoir apprécier les avantages des droits politiques, elle ne vit d’abord que d’un œil indifférent les institutions que lui donnait l’Angleterre. Dans la première chambre d’assemblée qu’elle fut appelée à élire, elle n’envoya guère que des Anglais. Cependant ses intérêts négligés ou froissés lui firent ouvrir les yeux sur la valeur des priviléges qui lui avaient été accordés, et, à mesure que son éducation politique se faisait, elle comprit que la tendance de la constitution de 1791 était de favoriser exclusivement le développement de l’esprit britannique. Les Canadiens n’avaient qu’un organe dans la législature, tandis que la métropole s’en était assuré deux, le gouverneur et le conseil législatif, qui ne pouvait avoir d’autres intérêts que les siens. Il est dans la nature de toute assemblée élective de se tenir en garde contre le pouvoir exécutif. La chambre du Bas-Canada, qui représentait une autre nation que celle qui exerçait la souveraineté, ne pouvait prendre une position différente. Elle avait à craindre de se voir enlever par les empiétemens de la race anglaise les institutions et les mœurs qui constituaient sa nationalité. D’ailleurs, cette attitude de défiance, d’opposition, qui ne tarda pas à devenir de l’hostilité ouverte, lui fut commandée par les provocations du gouvernement. C’est un fait incontestable, reconnu par les Anglais eux-mêmes, comme le prouvent les paroles suivantes, extraites du rapport présenté par les commissaires, lord Gosford, sir George Gipps, sir Charles Grey, nommés, en 1835, par le ministère pour examiner sur les lieux les griefs des Canadiens : « La chambre d’assemblée s’aperçut bientôt de l’importance des fonctions que la constitution lui confiait ; seul, le gouvernement tarda à comprendre les devoirs qui lui étaient prescrits, ou, s’il les comprit, à les reconnaître et à réfléchir avec une prudente prévoyance aux conséquences de ses actes. Au lieu de donner à sa politique une direction qui pût lui gagner la confiance de cette chambre, il prit malheureusement pour système de s’appuyer