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l’air, et non sans malice, de vouloir leur faire beau jeu et les attirer en plaine par de certaines témérités qu’il sait combiner avec une étude approfondie. Il pousse plus d’un bout de texte en un nouveau sens auquel on n’avait pas songé, et il lui fait rendre de subtiles nuances ; il a des impatiences et des éclairs d’interprétations qu’après tout, en ces matières humaines si complexes, un esprit supérieur a peine à s’interdire, et que le talent se plaît à exprimer. Le talent (ne trouvez-vous pas ?) a très vite quelque chose d’agressif, d’attentatoire, en apparence, à la stricte méthode érudite. La contradiction même que pourraient opposer, dans le cas présent, ceux que j’appelle les savans spéciaux, introduirait, j’en suis sûr, des résultats et des idées qui ne seraient pas venues sans l’ingénieuse provocation. Quoi qu’il en soit, et pour ne parler ici que des autorités éminentes, on aimerait à savoir ce que pense, par exemple, l’historien de la Civilisation sur les chapitres parallèles qui traitent de la transformation de la société romaine, ce que l’historien du Paganisme en Occident trouve à redire peut-être dans le tableau reproduit de ces mêmes luttes des deux mondes païen et chrétien, ce qu’oppose sans doute l’auteur des Récits mérovingiens à cette inégalité de rôle un peu brusque entre Frédegonde et Brunehaut, et comment enfin l’historien dès long-temps désigné de Grégoire VII apprécie la peinture de Rome féodale à la veille de ce pontife. Invoquer de tels noms, comme presque les seuls compétens, pour trancher ou fixer de près des questions si compliquées et si ardues, c’est assez déclarer ma propre insuffisance à moi-même, et aussi mon peu de prétention. Chacun des dix livres de M. de Saint-Priest mériterait les frais d’un siége à part, d’un siége en règle, dirigé par un homme du métier ; même là où il y aurait capitulation, elle ne serait pas sans honneur, et l’on en sortirait avec bien des idées de plus. Mais je dois me borner ici à rendre une impression, non un jugement ; à faire comprendre l’ordonnance et le mouvement du livre, peut-être aussi l’esprit qui l’a inspiré. Et, par exemple, il importe de bien dégager l’idée principale, l’idée monarchique, de la séparer des nombreux accessoires où elle se mêle et qui peuvent parfois la faire perdre de vue. Cette idée est en quelque sorte le personnage intéressant et vivant, l’héroïne de l’ouvrage ; suivons-en l’histoire, selon M. de Saint-Priest, en ne touchant que légèrement aux épisodes dont elle se trouve, chemin faisant, enveloppée.

L’idée de royauté est originaire de l’Asie ; elle y a son berceau et ses racines avec le genre humain ; elle y a crû, dès l’origine, comme