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REVUE. — CHRONIQUE.

La séparation de ces deux hommes politiques a profondément changé les termes de la question. La gauche perd tout espoir d’un prochain avénement ; M. Thiers n’est plus le candidat de la coalition, c’est un ministre du 11 octobre qui se trouve en disponibilité. Le ministère peut en redouter le secours plus qu’il n’en redoutait les attaques.

Mais tout en se séparant de la gauche, M. Thiers ira-t-il réellement aux conservateurs ? Voudra-t-il ménager la transition, épier l’occasion, et, en attendant, se tenir à l’écart dans une position intermédiaire, ou pour mieux dire indéterminée ? Cette marche lente, mesurée, d’observation, ne manquerait pas d’habileté et de sagesse ; mais le rôle de Fabius n’est pas en crédit aujourd’hui. Voulût-il le jouer, M. Thiers en serait détourné par ses amis politiques. Un homme d’état n’est pas le plus libre des hommes. Il n’est pas moins vrai qu’un rôle actif sera des plus difficiles pour lui, car les conservateurs seront ombrageux, et la gauche aura intérêt à provoquer son ancien allié sur toutes les questions qui pourront lui être un embarras et un péril. Au reste, l’habileté de M. Thiers est grande, et, sans vouloir ici préjuger sa conduite, nous persistons à croire qu’elle ne sera que le développement du plan qu’il s’est proposé en se séparant de la gauche.

Les troubles qui agitaient les districts manufacturiers de l’Angleterre paraissent s’apaiser. La confiance publique se rétablit. L’Angleterre aura cette fois encore échappé à une crise qui s’annonçait sous les apparences les plus effrayantes. Il n’est pas moins vrai que les derniers évènemens avaient un caractère qui les distingue des autres faits de même nature. D’un côté, par l’intervention des chartistes, la pensée politique s’est mêlée cette fois d’une manière plus intime aux plaintes de l’ouvrier. De l’autre, l’émeute a paru prendre sur plus d’un point les allures et les proportions d’une révolte. Il y a là un grave et douloureux sujet de méditation pour le gouvernement britannique. Malheureusement aucun remède prompt, décisif, n’est sous sa main. Que faire de ces myriades d’ouvriers, si les salaires baissent, si le travail s’arrête, et comment les salaires ne baisseraient-ils pas, comment le travail pourrait-il ne pas s’arrêter, si les nations qui consommaient les produits anglais, s’emparant, elles aussi, à l’exemple de l’Angleterre, du système prohibitif, ferment leurs marchés aux produits étrangers ? Qu’elle serait horrible l’histoire des malheurs et des crimes que ce système a déjà enfantés ! Et cependant les catastrophes les plus sanglantes ne sont pas celles qu’il a déjà produites, mais celles qu’il prépare, et que nous verrons peut-être éclater même de nos jours !

Si l’Angleterre ne modifie pas son système, si, en ouvrant largement son marché aux produits étrangers, elle ne force pas les autres nations à cesser, dans leur propre intérêt, de produire ce que l’Angleterre peut offrir à meilleur marché, elle se trouvera un jour dans une situation violente, et alors, ou elle cherchera à s’ouvrir par la force les marchés de l’étranger, dût-elle mettre le monde en feu, ou elle s’exposera, en concentrant l’incendie chez elle, à un embrasement général. Sans doute ses ressources sont grandes, sa constitution