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à sa nature, une sorte de rêveur politique, et un rêveur sans convictions. On aurait pu ne pas rompre, mais il fallait se séparer : l’association n’avait plus de but.

Quoi qu’il en soit de ces conjectures, la séparation, la rupture, comme on voudra l’appeler, a été proclamée à la tribune. Est-ce là un fait sérieux, réfléchi ? une séparation décisive et durable ? ou bien faut-il n’y voir qu’un incident passager, une brouillerie d’amoureux ? mous venons bien tard pour parler d’une question qui a déjà occupé les mille voix de la presse, et sur laquelle, certes, elle n’a rien laissé à dire. Aussi voulons-nous nous borner à une simple observation. Nous avons toujours cru, et nous persistons à croire que la séparation est décisive et durable, parce que M. Barrot et M. Thiers sont pour nous des hommes politiques sérieux, et que nous croirions leur faire injure en imaginant qu’ils ont pu, dans un moment si solennel, se séparer l’un de l’autre et se reprocher mutuellement leurs votes, sans avoir été poussés à cette extrémité par une cause urgente, impérieuse, permanente. Si le dissentiment n’eût été que partiel et passager, la gauche, après avoir défendu l’amendement et succombé dans cette épreuve, aurait, plus docile aux conseils de M. Thiers, accordé ses suffrages à la loi, ou bien M. Thiers, tout en repoussant l’amendement, aurait reconnu que, cet amendement impliquant un principe opposé au principe inscrit dans le projet de loi, la gauche avait, en effet, le droit d’être conséquente et de repousser la loi, si l’amendement était rejeté. Mais lorsque, l’amendement une fois écarté, la gauche ne persiste pas moins dans sa résolution, et lorsque M. Thiers, loin de chercher à pallier cette erreur, la lui reproche avec vivacité et lui fait pressentir que par ce vote elle va se déclarer incapable de prendre en main le gouvernement du pays, comment croire que c’est là une mésintelligence momentanée, et qu’on pourra se raccommoder demain ? Encore une fois, M. Barrot et M. Thiers sont pour nous des hommes sérieux.

Au surplus, c’est là un point qui se trouvera décidé au début de la session prochaine. Le ministère, loin de pouvoir éviter la question ministérielle, est obligé de la poser dans toute son étendue, sur la politique extérieure comme sur la politique intérieure, sur les faits accomplis et sur le système qu’il se propose de suivre. En présence d’une chambre nouvelle, sous l’influence de la catastrophe du 13 juillet, ce sera là un grave et solennel débat, un débat qui pourra être décisif pour l’avenir de plus d’un homme politique. Le ministère aura pour lui la possession, la gravité des circonstances, les appréhensions du parti conservateur. Sous ces influences, si l’union du centre gauche à la gauche eût continué, si M. Thiers n’eût aspiré aux affaires que de concert avec les chefs de l’opposition constitutionnelle, le combat aurait été violent, acharné, et en définitive on aurait vu probablement se former une majorité composée des hommes qui ont accepté le cabinet du 29 octobre et de ceux qui auraient voulu, avant tout, éloigner un ministère Thiers-Barrot.