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sequelle dantoniste, et nombre de montagnards se voyaient menacés. Barère, dénoncé aux jacobins et simplement ajourné sur la motion de Rohespierre, se crut perdu, et il se hâta d’entrer dans le complot formé contre ses trois collègues. Sa narration des incidens qui précédèrent la journée du 9 thermidor n’offre ni intérêt ni originalité ; il n’a rien laissé transpirer des menées occultes de ses adversaires, rien des séances agitées du comité de salut public, où ne paraissait plus Robespierre ; rien de ces mystérieux conciliabules auxquels assistaient certains membres du comité de sûreté générale, dans sa maison de campagne ; rien enfin des obscurs préliminaires de ce drame empreint d’une si sauvage grandeur. Loin de là, ses Mémoires ne sont guère qu’une répétition stérile et souvent inexacte de faits déjà connus ; c’est ainsi qu’il prétend que les députés de la plaine demeurèrent indécis jusqu’à la fameuse séance du 9 thermidor, lorsqu’on sait qu’ils avaient adhéré dès la nuit précédente aux invitations des montagnards. Celui dont les hésitations durèrent le plus long-temps, ce fut sans contredit Barère, et si l’hypothèse des deux discours n’est qu’une exagération mensongère, au moins faut-il avouer qu’elle était suffisamment motivée par les habitudes de sa vie politique, son défaut absolu de caractère et son embarras cruel à l’heure du dénouement.

Robespierre vaincu, les muets de la terreur se ressaisissent de la parole, et les membres des comités se taisent à leur tour. Barère, tout aussi imprévoyant que Billaud-Varennes et Collot-d’Herbois, n’avait d’abord pas compris que c’était là plus qu’une révolution de personnes, et que le pouvoir allait s’échapper de ses mains. Trop irrévocablement engagé dans le passé, il ne put changer de drapeau ; il lui fallut bientôt se résigner au rôle de vaincu, et céder la place aux réacteurs. Sa carrière gouvernementale était finie, et le jour des persécutions arrivait. Nous ne le suivrons pas dans cette seconde période de sa vie, qui n’offre même plus un intérêt historique. On sait qu’il ne parvint qu’avec peine à se soustraire à la déportation. Proscrit de nouveau après le 18 fructidor, il ne trouva le repos qu’au lendemain du 18 brumaire, sous la protection du premier consul. La littérature, la poésie et le pamphlet furent alors pour lui une triste ressource, si triste, qu’il y fit preuve de la plus grande pauvreté d’idées et du plus mauvais goût qu’on puisse imaginer. En 1816, la loi du bannissement contre les régicides l’atteignit, et il se retira à Bruxelles, l’asile habituel des conventionnels exilés. Depuis 1830, il habitait la ville de Tarbes, où ses derniers jours se seraient passés dans une douce tranquillité, si l’homme du monde, jadis si recherché dans les salons de Mme de Genlis, ne fût devenu un vieillard inquiet et tracassier. Ses ouvrages imprimés sont nombreux, moins nombreux toutefois que ses manuscrits, qui doivent encore fournir matière à deux nouveaux volumes de mémoires ; mais si les deux premiers ont de si minces droits à l’attention du public, les autres trouveront-ils faveur ? Barère a raconté, sur la foi du général Subervic, que Napoléon aurait dit : « Il est très difficile de bien écrire l’histoire de la révolution française. Je ne connais qu’un seul homme capable de bien exécuter ce travail,