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rien appris, rien apprécié sous un point de vue impartial ; il se laisse entraîner au milieu des faits, comme un acteur subalterne auquel on ne dit jamais le secret des choses et qui ne sait pas le deviner. Il avait à nous initier aux mystérieuses discussions du comité sur les plus terribles mesures de cette grande époque, à nous révéler des détails inconnus sur l’arrestation d’Hébert et consorts, sur la chute de Danton et des indulgens, sur les projets des triumvirs, et il se borne à répéter oiseusement les dires des écrivains qui ont abordé avant lui le récit de ces étranges péripéties. S’il doit en être ainsi de cette Histoire du comité de salut public qu’il n’a point achevée, et dont parle M. H. Carnot dans sa notice biographique, ce n’est certes pas la peine d’en faire l’objet d’une publication spéciale, car on n’aime pas les redites, et le temps n’est plus, à cette heure, des accusations passionnées.

Barère était donc et il est resté aux yeux de la postérité un homme d’une valeur médiocre et d’une moralité suspecte ; il appartient à la pire espèce des individus appelés à figurer dans les révolutions politiques ou sociales, à celle qu’on flétrit du nom de gent moutonnière, et qui convie aux excès par ses lâches complaisances et ses timides abnégations. Il a dit dans ses manuscrits : « Je n’ai point fait mon époque, époque de révolutions et de tempêtes politiques, grosse de passions, d’intérêts, de besoins, de sentimens exaltés, de corruptions systématiques, de violences publiques et de trahisons ; je n’ai point fait mon époque ; je n’ai fait et je n’ai dû que lui obéir. Elle a commandé en souveraine à tant de peuples et de rois, à tant de génies, de talens, de volontés et même d’évènemens, que cette soumission à l’époque et cette obéissance à l’esprit du siècle ne peuvent être imputées ni à crime ni à faute. Nous avons tous été soumis à ces fatis victricibus auxquels l’antiquité éleva des autels. » La fatalité n’est, selon nous, une excuse que pour les hommes passifs ; les agens révolutionnaires, quel que soit leur mobile, n’ont aucun droit à en invoquer le bénéfice, et cette justification, à la manière des anciens, n’est qu’un voile commode tardivement jeté sur de longues frayeurs. S’il n’eût pas été de nature pusillanime, Barère eût péri comme Danton, comme Camille Desmoulins, comme les triumvirs eux-mêmes. Il plia sous le faix des évènemens et sauva sa tête ; mais, comme il avait marché en aveugle, à la suite des chefs, il n’a pas eu d’école, et les panégyristes lui ont manqué.

Cependant le gouvernement révolutionnaire était arrivé à la plus extrême tension, et le moment approchait d’une dernière crise. L’inflexible Saint-Just s’était écrié un jour, en présence de Robespierre, qui montrait quelque emportement : « Calme-toi, l’empire est au flegmatique. » Une autre fois, dans le sein du comité, il avait eu la hardiesse de prononcer le mot de dictature et de désigner l’incorruptible comme le seul homme capable d’opérer le salut de l’état. Repoussés avec une sorte d’indignation par la majorité de leurs collègues, les triumvirs préparaient en silence un nouveau 31 mai ; le club des jacobins redoublait de violence ; la commune de Paris montrait une activité inaccoutumée ; de nouvelles listes de proscription étaient dressées contre la