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Barère a peu marqué dans l’assemblée constituante, car il n’y était pas stimulé par l’aiguillon de la peur. Dépourvu de cette admirable faculté d’entraînement que possédait Mirabeau, de cette fermeté calme qui distinguait le sage Bailly, de cette obstination dans les idées qui fut le trait saillant du caractère de Mounier, il n’avait en lui rien de dominateur, et personne ne lui fit écho. Il se mit donc à observer et à écouter ; mais il écouta si mal, que sa plume est demeurée stérile, comme si l’intérêt eût manqué aux personnages et aux faits. Ses souvenirs cheminent niaisement à travers tout ce vaste conflit de passions et de mouvemens divers, sans nous fournir une page véritablement digne de l’histoire ; il n’a pas dessiné un portrait, pas entrevu un fil conducteur, pas expliqué un mystère : Mirabeau, Barnave, les projets supposés du duc d’Orléans, les journées des 5 et 6 octobre, les projets de la cour, tout est resté dans l’ombre ; mais Barère vous dira qu’il a été membre du comité des lettres de cachet, qu’il a fait un rapport sur les chasses royales, qu’il a fait restituer aux protestans, victimes de l’édit de Nantes, les biens confisqués par le domaine, provoqué la transformation en département de sa province de Bigorre, rédigé le programme des honneurs extraordinaires rendus à la mémoire du grand orateur. Il n’y a qu’un mot à citer dans ce récit pénible et sans couleur, un mot de Mirabeau sur Sieyès. Lorsqu’il s’agit, dans l’assemblée nationale, d’ajourner à jour fixe la discussion sur la liberté de la presse, Mirabeau s’était écrié : « Le silence de M. Sieyès est une calamité publique ; » et le soir il disait en présence de l’auteur des Mémoires : « Laissez faire, j’ai donné à cet abbé une telle réputation, qu’il aura bien de la peine à la traîner. » Sieyès, en effet, a plié, durant toute la période révolutionnaire, sous le fardeau de cet incommode brevet d’intelligence et de capacité.

Barère n’appartenait alors à aucun parti ; il rédigeait un journal, le Point du jour, afin d’utiliser sa facilité sans égale, et recherchait les succès de salon. Mme de Sillery-Genlis, chez laquelle il avait été présenté, trace ainsi son portrait : « Il était jeune, jouissant d’une très bonne réputation, joignant à beaucoup d’esprit un caractère insinuant, un extérieur agréable, et des manières à la fois nobles, douces et réservées. C’est le seul homme que j’aie vu arriver du fond de sa province avec un ton et des manières qui n’auraient jamais été déplacés dans le grand monde et à la cour. Il avait très peu d’instruction, mais sa conversation était toujours aimable et toujours attachante ; il montrait une extrême sensibilité, un goût raisonné pour les arts, les talens et la vie champêtre. Ces inclinations douces et tendres, réunies à un genre d’esprit très piquant, donnaient à son caractère et à sa personne quelque chose d’intéressant et de véritablement original. » On conçoit sans peine que le jeune député de Tarbes ait pu être séduit par cet accueil empressé ; aussi n’est-il sorte de bien qu’il ne pense de Mme de Genlis et de la famille d’Orléans. « M. le duc d’Orléans, dit-il, sous l’apparence de la légèreté et du trait d’esprit, exprimait des pensées fortes et des opinions justes. On le disait plus fait