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de finance aux états de Bigorre, il débuta avec éclat au barreau de Toulouse par la défense d’une jeune fille accusée d’infanticide, et dans les lettres par l’Éloge de Louis XII. Singulier prélude au vote régicide de 93 ! mais, qui songeait alors aux mystères de l’avenir ? Barère n’aspirait, à cette époque, qu’à compter au nombre des célébrités toulousaines, à mériter les suffrages de l’Académie des jeux floraux, à conquérir par ses écrits et ses harangues une brillante réputation de clocher ; il n’était encore que l’homme de tous les salons et de toutes les académies, selon l’expression d’un magistrat distingué, M. Romiguières. M. de Cambon, premier président du parlement, qui disait de lui : « Ce jeune avocat ira loin ; quel dommage qu’il ait déjà sucé le lait impur de la philosophie moderne ! croyez-moi, cet avocat est un homme dangereux ; » M. de Cambon ne prenait sans doute pas sa menaçante prophétie plus au sérieux que l’obscur professeur de Brienne, au sujet de son élève Napoléon. Le scepticisme moqueur des écrivains du XVIIIe siècle et l’égoïsme sans pudeur du petit-fils de Louis XIV avaient porté un coup mortel à la royauté. Elle restait debout néanmoins avec son cortége imposant d’institutions antiques et de souvenirs respectés ; le tiers-état, qui grandissait lentement aux dépens d’une aristocratie condamnée à périr, ne s’était révélé qu’à demi, et le problème de la rénovation politique et sociale n’était pas même agité. Un peu plus tard cependant, vers le commencement de 1788, lorsque Barère vint poursuivre à Paris un procès de famille, son père, qui était un homme de sens et qui voyait poindre la tempête à l’horizon, lui dit au moment du départ : « Tu vas dans un pays qui va devenir bien dangereux ; les impôts sont excessifs, les ministres mauvais, le peuple mécontent, le roi faible ; la corde est trop tendue, il faut qu’elle casse. » C’est que le dénouement était proche ; quelques années avaient suffi pour rendre intolérable le malaise général d’une société mal faite et pour créer l’opinion, puissance nouvelle dont l’irrésistible ascendant allait tout entraîner. Barère, électrisé, comme il le dit lui-même, par le mouvement rapide, inévitable et perpétuel des hommes et des choses dans cette capitale célèbre, a raconté ses impressions dans une sorte de journal de voyage, intitulé le Dernier jour de Paris sous l’ancien régime : œuvre incohérente et banale qui n’a qu’un seul mérite, celui de peindre assez fidèlement, grace à l’extrême mobilité de l’auteur, les étranges fluctuations des esprits, en ce temps d’orageuses espérances et d’éclatantes malédictions contre la tyrannie du passé. L’année, suivante, le grand ébranlement de la monarchie commençait, et les plébéiens entraient en scène ; le jeune avocat de Tarbes venait de perdre son père, dont la vieille expérience l’eût peut-être écarté des affaires publiques ; l’ambition se fit jour chez Barère ; il se mêla activement aux agitations électorales de sa province, fit briller sa facilité oratoire, et se laissa nommer électeur, puis commissaire-rédacteur du cahier des doléances, enfin député des communes aux états-généraux. Le sort en était jeté, l’élégant académicien des jeux floraux allait faire son rude apprentissage de tribun.