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sanglantes catastrophes, l’orateur privilégié et le panégyriste officiel ; il a pris une part retentissante à tous les actes révolutionnaires de la terreur ; il les a défendus et exaltés à la tribune conventionnelle ; enfin il a eu, comme la plupart de ses collègues, les honneurs de la chute et de la proscription. C’était le seul membre survivant de cette impitoyable dictature, presqu’un des derniers de cette mémorable époque, le dernier des noms entourés d’un certain éclat. À cette heure, la génération de 89 a disparu tout entière ; l’histoire a recueilli toutes les pièces de conviction, et ce redoutable procès, qui n’avait été que jugé, selon le mot de Cambacérès à Napoléon, peut être maintenant plaidé, sauf le mystère de quelques incidens à jamais impénétrables, puisque les dépositions de tous les témoins ont été entendues. Barère vient de léguer ses mémoires à la postérité ; il ne nous reste plus à attendre que ceux de M. de Talleyrand, si toutefois ce diplomate égoïste et sceptique a daigné laisser des mémoires, et si le silence de trente années imposé à ses héritiers n’est pas une dernière ironie.

Barère demeuré seul debout après tant de vicissitudes, ayant survécu aux dédains de l’empire et aux haines passionnées de la restauration, avait, ce nous semble, une belle tâche à accomplir, celle de la réhabilitation. Cinquante ans ont passé sur cette douloureuse, mais grande période ; cinquante ans, c’est presque la vie de deux générations. Le membre oublié du comité de salut public pouvait s’effacer et raconter froidement ce qu’il devait savoir mieux que tout le monde, ce qu’il avait fait et vu ; le lecteur de nos jours lui eût tenu compte de sa courageuse franchise, car les évènemens de la terreur n’excitent plus dans nos cœurs ni pitié ni colère ; nous avons appris à les juger sans préventions, bien que l’héritage de nos pères ne soit pas entièrement liquidé. Barère en a-t-il agi ainsi ? A-t-il cherché à se mettre en dehors de la narration pour n’apprécier les hommes et les choses que dans toute la sincérité de ses méditations dernières ? Est-ce le proscrit du 12 germinal, ou le citoyen de 1840, qui nous convie au partage de ses impressions sur des faits devenus historiques ? Il suffit de parcourir quelques lignes de cet ouvrage posthume pour se convaincre que l’expérience n’a rien donné à l’auteur des Mémoires ; que le temps, ce grand maître des hommes politiques, n’a rien ajouté à ses idées ; qu’il est arrivé jusqu’à son heure suprême avec ses croyances de peureux et ses ressentimens d’opprimé. Son livre n’est encore qu’une longue diatribe, comme nous en avons lu bien d’autres de même valeur, un plagiat stérile de toutes les dénonciations formulées à la tribune ou dans les clubs par des esprits inquiets et soupçonneux. Barère n’a pas compris le rôle qu’il avait à jouer comme juge éclairé de ses contemporains ; il est vrai qu’il écrivit en grande partie dans les prisons, au moment de la réaction thermidorienne, ou sous l’influence de son abandon, dans les plus belles années de l’empire ; mais, depuis, le loisir des rectifications ne lui a certes pas manqué. L’injustice des appréciations avait son excuse, en 1795, dans la violence de la persécution ; en 1810, dans les désappointemens de l’oubli ; en 1815, dans les