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DU CRÉDIT ET DES BANQUES.

dient barbare et ruineux de l’altération des monnaies ; ces mesures le rappellent, elles sont un malheureux reste de la barbarie d’autrefois.

Mais, dira-t-on, si le gouvernement n’encourage pas, par des moyens quelconques, l’usage des billets émis par les banques, comment parviendront-elles à les faire circuler en assez grand nombre dans le public ? Rien de plus simple.

Quoi qu’on ait pu dire à ce sujet, il n’a jamais été difficile à une banque, constituée sur des bases convenables, de faire accepter par le commerce, sur le même pied que de l’argent comptant, des billets payables au porteur et à vue, et de les faire circuler dans le public. Cela coule de source ; cela se fait de soi-même. De nos jours, quelques économistes, se fondant sur l’exemple actuel de la France, exemple mal interprété et mal compris, se sont imaginé qu’il était difficile, en certains cas, d’accoutumer le public à ces sortes de billets, et qu’il était nécessaire de recourir à des expédiens subtils pour le familiariser avec le papier de banque. C’est une erreur que l’exemple même de la France démentirait au besoin. Il n’y a point de peuple, si peu civilisé qu’il soit, si effrayé qu’il ait pu être par des désastres antérieurs, chez lequel les billets d’une banque ne soient reçus sans la moindre peine, quand il sera bien vrai, d’une part, que la banque est solide, de l’autre, que ses billets peuvent toujours être réalisés sur-le-champ. Cette condition d’une réalisation si prompte et si facile, d’un paiement immédiat à volonté, cette condition, disons-nous, quand elle s’accomplit en effet, au vu et au su de tout le monde, est si frappante, elle parle un langage si haut et si clair, si accessible aux intelligences les plus bornées, qu’il n’y a personne en aucun pays qui résiste à son éloquence. Aussi n’est-il pas vrai que nulle part, pas plus en France qu’ailleurs, il ait été nécessaire de travailler l’esprit public sur ce sujet. Si les billets de la banque de France ne circulent qu’à Paris, c’est qu’ils ne sont en effet réalisables qu’à Paris. Si à Paris même la circulation en est très bornée, c’est que les coupons en sont trop élevés pour être en rapport avec les besoins du plus grand nombre. Il n’est pas nécessaire, pour expliquer ce phénomène si simple, d’imaginer dans le public de prétendues répugnances qui n’existent pas. [1]

  1. mens des billets de banque. En donnant à ces billets un cours forcé, leur a-t-on rendu leur valeur entière ? Nullement. Malgré la loi, ils ont perdu jusqu’à 20 p. 100 et davantage, et le numéraire a disparu, au grand détriment des particuliers et du public, sans qu’aucune mesure de surveillance ou de rigueur ait pu le retenir. La suspension des paiements étant admise, mieux eût valu laisser les billets se placer comme ils auraient pu, pour la valeur qui leur aurait été attribuée par l’opinion publique. L’espoir d’un remboursement futur, plus ou moins prochain, les aurait toujours fait prendre à des conditions plus ou moins avantageuses, qui auraient été librement déterminées par les parties, de la même manière que se règle, dans les momens de discrédit, le cours des rentes publiques. Il y aurait eu sans doute, malgré tout, une certaine perturbation, conséquence inévitable de la suspension des paiemens ; mais on aurait évité du moins d’ajouter à cette perturbation la gêne résultant de la disparition complète du numéraire.