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DU CRÉDIT ET DES BANQUES.

suppose, en effet, que tout industriel qui fait à un autre des ventes à crédit a la facilité de rentrer immédiatement dans ses fonds en négociant les effets qu’il reçoit en échange, il puise dans les avances même qu’il a faites les moyens d’en faire encore et de plus grandes le lendemain. Il n’est pas limité par l’étendue de son propre capital, puisque son capital se reconstitue sans cesse en s’accroissant à chaque fois de la somme des bénéfices. En ce sens donc, il n’y a pas de bornes aux avances qu’un industriel peut faire ; il peut les étendre et les multiplier sans terme, et plus il les multipliera, plus il sera en mesure de les multiplier encore.

Rien de plus simple que cette donnée ; rien aussi de plus légitime que les conséquences si larges qu’on en pourrait tirer. Elle nous suffirait d’ailleurs pour faire ressortir tous les avantages qui découlent de l’exercice du crédit, si malheureusement elle n’était pas obscurcie ou altérée, soit par les préjugés du monde, soit par les fausses indications de la science. Revenons donc à l’objection des économistes, qui nous servira à mieux expliquer ce mécanisme.

« Le crédit, dit M. J.-B. Say, ne crée pas les capitaux, c’est-à-dire que, si la personne qui emprunte pour employer productivement la valeur empruntée acquiert par là l’usage d’un capital, d’un autre côté la personne qui prête se prive de l’usage de ce même capital. » D’où M. J.-B. Say conclut, avec une apparence de raison, que l’exercice du crédit n’opère qu’un déplacement de capital et ne procure au fond que de médiocres avantages. C’est ce qu’il faut voir.

Rien qu’à lire ce qui précède, on voit d’abord que M. J.-B. Say[1] n’a considéré, dans le grand phénomène du crédit, que le seul cas du prêt fait à un industriel par un capitaliste. Il a suivi en cela l’erreur commune, qui semble tout rapporter à ce seul fait. On vient de voir que c’est là le cas le moins général, le moins intéressant et le moins digne d’être observé. Dans l’hypothèse où l’on se place, il est très vrai que le capitaliste qui prête se prive de l’usage du capital prêté. Il aurait pu l’employer lui-même à former un établissement, à faire des expéditions lointaines, à spéculer sur les marchandises, à escompter ; il renonce à cet usage du capital pour en faire jouir l’emprunteur. Il n’y a donc pas alors accroissement, mais seulement déplacement de capital ; ce qui est gagné d’un côté est évidemment perdu de l’autre, et tout ce qu’on peut dire, avec M. J.-B. Say, en faveur de ce déplacement, c’est que l’industriel qui reçoit le capital en prêt saura probablement le faire valoir un peu mieux que ne l’eût fait son possesseur. Mais tout change quand on considère le crédit là où est son véritable siége, dans les avances mutuelles

  1. On ne s’étonnera pas de nous voir mettre en avant, de préférence à toute autre, l’opinion de M. Say, qui est en effet l’opinion dominante, en matière de crédit et de banque. Si nous la combattons avec vivacité, il faut se souvenir que nos observations s’adressent à la doctrine, non à l’homme, dont nous estimons d’ailleurs les travaux.