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dans la circulation le numéraire par le papier. On a lieu de s’étonner qu’après un siècle et demi de pratique des banques commerciales, lorsque leur papier a été tant de fois mis à l’épreuve et apprécié, lorsque, d’autre part, les fonctions, la nature et les qualités essentielles de la monnaie ont été si bien et si clairement définies, il puisse y avoir encore des hommes, non pas ignorans, mais éclairés, qui s’avisent de comparer le papier de banque à la monnaie, qui prétendent ranger sur la même ligne et confondre sous la même dénomination des choses si profondément distinctes. Il est pourtant vrai que cette hérésie monstrueuse trouve encore aujourd’hui de nombreux partisans. Partout on entend répéter autour de soi que les billets des banques remplacent l’argent, que les banques, par leurs émissions, augmentent la masse du numéraire, que le droit qu’on leur accorde d’émettre des billets équivaut à celui de battre monnaie ; et ces erreurs grossières, qui ne sont que le renversement des plus simples notions de la science, semblent s’accréditer de jour en jour. Elles se résument toutes dans ce mot connu : papier monnaie, accouplement monstrueux de deux termes incompatibles, et dans ce prétendu axiome de l’économie politique anglaise, que la monnaie est à son état le plus parfait lorsqu’elle est de papier. Il semble, à nous voir colporter ces mots creux ou caresser ces chimères, que nous soyons retournés au temps du système de Law, ou que nous ayons encore aujourd’hui, comme alors, notre apprentissage à faire.

Dans le fait, depuis Law jusqu’à nos jours, les doctrines que la plupart des économistes se sont faites sur les banques varient peu quant au fond. Elles se résument dans cette pensée, toujours la même, que le papier des banques remplace l’argent. Seulement, à cette pensée première, qui leur est commune à tous, chacun d’eux en a associé d’autres, qui en ont modifié l’application. Ceux-ci ont cru que, pour remplir convenablement la fonction de numéraire, le papier des banques avait besoin d’être soutenu par la perspective assurée d’un remboursement à volonté ; ceux-là ont, au contraire, posé en principe qu’il lui suffisait d’être, pourvu qu’il circulât sous l’autorité et avec la sanction de la loi. Law, qui admettait, avec la plupart des économistes de son temps, que l’or et l’argent constituent toute la richesse d’un peuple, et qu’on ne saurait trop les multiplier dans un pays, jugeait aussi, par une conséquence naturelle de ce principe, qu’on ne doit pas mettre de bornes à l’émission du papier destiné à remplacer l’argent, et son système tendit en effet, dès le début, alors même qu’il était constitué sur des bases d’ailleurs assez raisonnables, à gorger le pays par des émissions de billets sans mesure et sans fin. Les économistes qui sont venus après lui ont posé d’autres règles. Plus éclairés sur le véritable emploi de l’or et de l’argent, sachant bien que les monnaies ne sont utiles que comme agens de la circulation et dans la mesure que les besoins de cette circulation comportent, ils n’ont pas admis que la masse des papiers en circulation doive excéder, en aucun cas, celle de la monnaie elle-même. Plusieurs d’entre eux, comme Adam Smith et M. J.-B. Say, ont même établi, par une sorte de tempérament