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DU CRÉDIT ET DES BANQUES.

Il serait difficile de dire dans laquelle de ces deux voies l’humanité a fait les plus brillantes conquêtes. Certes, on peut rester en admiration devant les prodiges accomplis par la vapeur depuis un demi-siècle, et l’on s’étonne avec raison en considérant par la pensée tout ce que l’invention si simple des chemins de fer promet dans un avenir prochain. Mais que faut-il penser de cet ingénieux système des actions sans lequel toute grande entreprise serait inabordable à l’homme, de cette heureuse combinaison des assurances qui permet aux individus de se donner carrière en corrigeant pour eux les caprices du hasard, des banques enfin, qui mettent aux mains des travailleurs les capitaux, sans lesquels toute leur activité se consumerait en efforts stériles ?

Toutefois le préjugé public n’attribue pas à ces deux genres de découvertes une importance égale. En général, les progrès qui s’accomplissent dans l’ordre moral sont moins appréciés que ceux qui se remarquent dans l’ordre matériel. Ceux-ci, sans être plus réels, sont bien plus apparens et plus sensibles. Ils se laissent, pour ainsi dire, toucher au doigt ; ils se mesurent à l’œil, et leurs résultats, facilement supputables en chiffres, peuvent se calculer avec une rigueur mathématique. Les autres ont un caractère plus intime ou plus latent : leur influence se fait plutôt sentir qu’elle ne se manifeste ; elle échappe à tout calcul rigoureux ; elle s’exerce d’ailleurs dans des régions où l’œil du vulgaire ne pénètre pas. Aussi les progrès matériels ont-ils été presque toujours aisément compris, acceptés avec empressement et poursuivis avec ardeur, tandis qu’on a vu trop souvent les autres, ou faiblement goûtés, ou même entièrement méconnus.

C’est surtout par rapport aux banques que cette vérité se manifeste. Il suffit de parcourir leur histoire pour s’assurer de leur incomparable puissance et reconnaître les immenses services qu’elles ont rendus. Par elles, un pays pauvre, l’Écosse, a pu fleurir tout à coup, malgré les résistances d’un sol ingrat, et les exigences tracassières d’une législation partiale, qui n’était pas faite par lui ni pour lui. Par elles encore, les Américains du nord ont conquis tout un monde sur le désert, et ce monde nouveau, qu’ils venaient d’arracher comme au néant, ils l’ont élevé à un degré de splendeur commerciale que les contrées les plus anciennement florissantes n’ont pas connu. C’est à ses banques, bien plus qu’à tout le reste, que l’Angleterre doit la prépondérance qu’elle a conquise en Europe et l’immense prospérité dont elle jouit. Que n’auraient pas fait ailleurs ces merveilleuses institutions, si presque partout des lois imprévoyantes n’avaient ou altéré leur principe ou comprimé leur essor ? Dans les pays même où corrompues dans leur essence et perverties dans leur action, elles n’ont eu qu’une existence passagère et ruineuse, elles ont laissé des traces brillantes de leur passage, et leur puissance a éclaté jusque dans les désordres qui ont suivi leur chute. Cependant quelle froideur générale quand par hasard le sort de ces institutions s’agite ! L’opinion, prompte à s’alarmer quand un misérable intérêt pécuniaire est en péril, pourvu que cet intérêt pécuniaire soit réductible en chiffres, s’émeut à peine,