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RICHARD.

se voyaient en toute liberté et en toute innocence. Ils avaient en partage la beauté, l’intelligence et la jeunesse, avec le même sentiment poétique de la nature et de toutes choses. Tout leur souriait, tout les invitait ; M. de La Tremblaye lui-même paraissait encourager les muettes sympathies qui les attiraient l’un vers l’autre. Ce qui devait arriver arriva ; ces deux enfans s’aimèrent. Chez M. de Beaumeillant, ce ne fut pas l’œuvre d’un jour : il avait été trop rudement éprouvé, il était trop souffrant encore et trop meurtri pour pouvoir se relever et s’épanouir au premier rayon caressant ; le souffle maternel avait en lui desséché la sève et tari l’illusion. Frappé d’une longue stérilité, sa floraison fut lente et maladive. Pour Mlle de La Tremblaye, elle aima sans effort, avec toute la grace et toute la fraîcheur de ses seize printemps. Comme deux nobles enfans qu’ils étaient, ils s’aimaient sans le savoir et sans se le dire, et M. de La Tremblaye était plus avant qu’eux-mêmes dans le secret de leurs jeunes cœurs.

Ce fut pendant son séjour à La Tremblaye que M. de Beaumeillant reçut la nouvelle de sa ruine à peu près complète. Depuis la mort de son père, l’administration de ses biens avait été singulièrement négligée. Tout entière à la passion, Mme de Beaumeillant ne s’était guère inquiétée de ces soins vulgaires. Tout à sa douleur, Richard s’en était lui-même médiocrement préoccupé. Il apprit un matin que la meilleure partie de sa fortune venait d’être engloutie dans un abîme. Il ne lui restait plus que la terre de Beaumeillant, c’est-à-dire la pauvreté. M. de La Tremblaye et sa sœur étaient près de lui, lorsqu’il en reçut la nouvelle ; il en fit part à ses amis. — Sommes-nous riches, nous ? demanda aussitôt Pauline à son frère. — On le dit, répliqua M. de La Tremblaye en souriant. La jeune fille s’échappa pour cacher sa joie. C’est à peine si, de son côté, M. de La Tremblaye parut affecté de la ruine de son ami. Enfin M. de Beaumeillant lui-même reçut ce coup en gentilhomme, et il est vrai de dire que jamais désastre n’a produit moins d’effet.

On touchait à la fin de l’automne. Richard ne partait pas, et M. de La Tremblaye laissait vaguement entrevoir que son vœu le plus cher était qu’il ne partît jamais. Il ne s’expliquait pas et ne précisait rien ; mais il mêlait M. de Beaumeillant à tous ses rêves, à toutes ses espérances, à tous ses projets d’avenir. D’une autre part, Mlle  de La Tremblaye, qui avait aimé Richard pour sa tristesse, l’adorait pour sa pauvreté, si bien qu’il put penser que sa ruine l’avait enrichi. Mais il était écrit là-haut que ce jeune homme ne toucherait point au bonheur et qu’il porterait jusqu’au bout la peine des égaremens qu’il