Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
LES FEMMES POÈTES.

tionnels, il n’y a rien là qui puisse froisser ; mais, quand c’est sur les sentimens simples et éternels de tous les honnêtes gens qu’elle construit l’échafaudage de ses grands mots, quand à la place de ces tristesses pompeuses, dont s’éprennent souvent les cœurs secs et les têtes vides, elle entreprend de chanter un de ces profonds et réels chagrins que chacun ici-bas est obligé de ressentir aux heures terribles de la vie, quand aux pensées ambitieuses et recherchées de sa poésie artificielle elle allie les souvenirs sacrés d’un lit de mort, en un mot quand elle adresse des vers à un père dont elle nous dépeint l’agonie, à une mère dont elle nous montre les yeux éteints et les lèvres glacées, il y a là une véritable profanation dont on se sent tout irrité et tout ému. Il est de grands poètes qui n’ont pas craint de mêler au philtre qu’ils composent pour nous enchanter les larmes austères que de saintes douleurs font couler sur nos joues. S’ils ont reçu du ciel une telle organisation que les vers viennent chez eux avec les sanglots, j’aimerais mieux, quelle que soit la valeur de leurs œuvres, qu’ils eussent assez de force pour renfermer en eux les poétiques mystères de leurs pleurs. Cependant, comme le génie est chose divine, et partant au-dessus des jugemens humains, je n’ose ni les condamner ni les défendre, je me tais et je m’incline. Mais, quant à ces rimeurs qui font des vers à leur mère parce que les vers à Iris n’ont plus cours, lorsque je les vois mêler à leur ingrat et stérile labeur des sentimens qu’ils n’étaient pas dignes d’éprouver, lorsque je les vois chercher dans les souvenirs d’une agonie, dans les pensées d’un lieu funéraire, des oripeaux pour leur muse vaniteuse et indigente, je trouve que leurs mauvaises strophes renferment une mauvaise action.

Je veux donc oublier bien vite l’ode que Mme Colet adresse à la mémoire de son père, le poème qu’elle a appelé ma Mère ! et, pour m’arrêter sur des idées pacifiques, terminer ce qui la regarde en rappelant son succès de l’Académie. Comme Mme de Girardin, elle a eu son jour de triomphe au Capitole. Ne parlons point des vers qui lui valurent sa couronne, car nous gâterions peut-être un souvenir que nous sommes heureux d’évoquer.

C’est par Mme Anaïs Ségalas que nous terminerons ; aussi bien, je ne vois plus, après elle, quelle nouvelle transformation la femme pourrait subir sans cesser d’être femme tout-à-fait. C’est le bruit du canon qui éveille dans l’ame de Mme Ségalas les premiers accens de la poésie. Elle débute par des vers sur la conquête d’Alger. Les bulletins du Moniteur exercent sur son imagination le prestige qu’ils