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RICHARD.

fut long en effet. Elle avait promis un prompt retour, mais son fils l’attendit vainement. Elle ne revint plus que de loin en loin, pour le voir un instant, l’embrasser à la hâte, et s’enfuir de ces lieux d’où elle semblait exilée. Richard resta près de son père, mais son cœur tout entier avait suivi l’absente. Il tenait de sa mère une ame délicate et tendre, qu’intimidait la nature froide et chagrine du comte de Beaumeillant. Trop jeune pour avoir pu comprendre le drame qui s’était joué près de lui, il n’osait décider quelle était la victime ; mais il y avait en lui un instinct inavoué qui accusait sourdement le comte, cet instinct des fils qui voient pleurer leur mère. Sa sensibilité s’exalta dans la solitude ; ses facultés expansives, comprimées par ses alentours, s’exercèrent sur ses souvenirs. Il se rappelait le noble et doux visage qui s’était tant de fois penché sur son berceau avec un pâle sourire ; il peupla son cœur de cette image désolée. En grandissant, cette affection prit un caractère romanesque et passionné. Mme de Beaumeillant revenait à de longs intervalles. Elle venait à la dérobée, jamais au château, mais dans le village voisin, où elle faisait appeler son fils. Richard accourait, et c’étaient, sous l’humble toit qui abritait tant de bonheur, d’indicibles transports et des tendresses ineffables. Ces instans étaient courts, mais enivrans. Plus d’une fois, pour les prolonger, la jeune mère demeura cachée plusieurs jours au village. On trouvait un prétexte pour expliquer les absences de Richard au château, et ces jours s’enfuyaient en heures charmantes. Ces apparitions mystérieuses, ce bonheur si permis et si légitime, obligé pourtant de se cacher, cette jeune proscrite qui venait en secret embrasser son enfant, ces effusions d’autant plus vives qu’il fallait épancher en quelques heures l’amour d’une année tout entière, tous ces incidens poétiques d’une affection ordinairement si paisible, frappèrent singulièrement l’imagination de Richard et développèrent en lui un sentiment plus ardent et plus exalté que ne le sont généralement les affections de la famille. Il avait quinze ans quand son père mourut. Depuis le départ de Mme de Beaumeillant, le comte n’avait pas prononcé, même devant son fils, le nom de sa femme, et telle était, à cet égard, l’austérité de son silence, que jamais Richard n’avait osé l’interroger ni demander pourquoi la place de sa mère restait vide au foyer. Il mourut comme il avait vécu, inflexible devant la mort comme il l’avait été durant la vie, emportant avec lui le secret de son indulgence ou de son repentir. Richard le pleura ; mais, dans sa douleur, il ne put étouffer je ne sais quel sentiment, car je n’oserais dire que ce fut un sentiment de joie, en songeant qu’entre sa mère et