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du vieux château de Beaumeillant. À l’immobilité du manoir, il était aisé de voir qu’on n’y attendait personne ; ce fut le postillon qui ouvrit la portière et abaissa le marchepied. Une femme de chambre s’élança la première, et, pour l’aider à descendre, offrit respectueusement sa main à une femme pâle et languissante. Cependant les fenêtres s’étaient illuminées, et les serviteurs, accourus avec des flambeaux, reconnurent leur maîtresse à tous, la comtesse de Beaumeillant.

Elle était bien changée, et chacun, en l’apercevant, ne put réprimer un mouvement de douloureux étonnement. Il est vrai qu’ils ne l’avaient pas vue depuis près de deux ans ; mais ces deux années avaient suffi pour flétrir à jamais ce qui restait en elle de beauté. Elle monta lentement les degrés du perron, et, coupant court à l’empressement de ses gens, elle demanda son fils. Au même instant, un grand et beau jeune homme la reçut sur son cœur et l’emporta presque évanouie entre ses bras.

En revenant à elle, Mme de Beaumeillant vit à ses genoux son fils qui la regardait avec amour. Elle prit entre ses mains cette blonde tête, et, la pressant contre son sein par une étreinte convulsive, elle l’inonda de ses larmes. Richard pleurait aussi, et déjà, aux transports de sa joie, se mêlaient des pensées amères ; car, malgré sa grande jeunesse et son ignorance des choses de la vie, il comprenait vaguement que les pleurs qu’il voyait couler avaient une autre source que l’attendrissement du retour : sous ces traits ravagés moins par le temps que par la douleur, il pressentait une ame mortellement atteinte qui revenait au gîte pour se reposer et s’éteindre.

Ce jeune homme était grave avant l’âge. Né au milieu des orages d’une union tourmentée, il avait assisté, enfant, au plus lamentable spectacle qui se puisse donner autour d’un berceau. Des scènes mystérieuses, étranges, mêlées de sanglots, de colère et de haine, avaient grondé comme la foudre sur ses premiers ans. Il en gardait encore un souvenir rempli d’épouvante. Baigné par les pleurs de sa mère, sans un sourire de son père pour le réchauffer, il s’était élevé tristement, pareil à ces plantes qui croissent dans les coins humides et sombres. On ne sait pas quel trouble funeste et quelle précoce expérience jettent dans le cœur des enfans les luttes du foyer et la division des époux. Heureux ceux qui, nés entre deux baisers, ont pu grandir dans l’atmosphère des tendresses mutuelles ! Un jour, celui dont nous parlons vit sa mère partir seule, éplorée, comme s’il se fût agi d’un long voyage et d’une séparation éternelle. Le voyage