Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/721

Cette page a été validée par deux contributeurs.
717
LA DIVINE COMÉDIE AVANT DANTE.

dans une assemblée tenue à Attigny, en 765, vingt-sept évêques et dix-sept abbés signèrent un compromis dans lequel il était convenu que, chaque fois que l’un d’entre eux décéderait, tous les prêtres attachés aux prélats et abbés survivans réciteraient pour lui cent psautiers et diraient cent messes. S’il transpire dans ce détail un peu d’égoïsme, il y éclate, en revanche, une foi profonde. L’égoïsme et la foi ! deux choses pourtant qui sembleraient s’exclure, si l’une n’était de tous les temps, si l’autre ne semblait un privilége des peuples qui n’ont pas vieilli.

IV. — RÊVE DE GONTRAM. — L’ANGLAIS DRITHELME. — LE RESSUSCITÉ DE SAINT BONIFACE. — DAGOBERT. — CHARLEMAGNE. — WETTIN.

L’invasion barbare devait laisser partout son empreinte ; nous allons la retrouver dans les légendes sur la vie future. Ce ne sera plus, en effet, l’extase puérile et naïve ; après le ravissement sincère du saint viendra le rêve calculé du politique. L’église approche des siècles où elle devra présider aux destinées, non plus seulement religieuses, mais temporelles du monde. Or, c’était se faire gouvernement, et un gouvernement politique a bien plutôt à punir qu’à récompenser. Nous touchons donc à une ère nouvelle : la vision va devenir une arme entre les mains des évêques contre les princes, puis entre les mains des moines contre les évêques. C’est même dès l’abord un instrument utile pour un roi franc. Tout le monde se rappelle le caractère historique de Chilpéric, tel qu’il apparaît dans les Récits de M. Augustin Thierry. Quand ce barbare eut été assassiné, son frère Gontram supposa une vision[1] dans laquelle il avait vu Chilpéric enchaîné que lui présentaient trois évêques. Deux d’entre eux disaient : « Nous vous supplions de le laisser ; qu’il soit libre après avoir subi son châtiment. » Mais le troisième répondait avec emportement : « Non ; qu’il soit dévoré par le feu pour les crimes qu’il a commis ! » Cette discussion ayant continué long-temps entre les prélats, Gontram vit de loin un vase d’airain placé sur le feu ; puis, tandis qu’il pleurait de douleur, son frère Chilpéric fut violemment saisi ; on jeta ses membres brisés dans le vase, où ils disparurent bientôt sans qu’il en restât la moindre trace.

Ainsi peu à peu cette espèce de légende pénètre partout : elle n’est pas seulement chez les théologiens, chez les agiographes : elle envahit le domaine des faits et trouve place chez de graves écrivains. Je n’en voudrais pour preuve que l’épisode intercalé par le vénérable Bède dans son Histoire ecclésiastique des Anglais, qu’il écrivait au VIIIe siècle. Il s’agit d’un pieux Northumbrien nommé Drithelme, qui mourut, ressuscita, et, laissant sa famille, se voua à Dieu. Ce Drithelme racontait souvent ce qu’il avait vu au sein de la mort, son voyage dans les vallons, tantôt glacés, tantôt brûlans, de l’enfer, les

  1. Greg. Tur., Hist. Franc., VIII, 5.