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hommes, quand on ne relève que de Dieu et de la nature, je pense qu’il n’est rien de plus sacrilége, de plus propre à inspirer le dégoût aux véritables amans de l’art. Celui qui va dans le monde sans appliquer sur son visage le masque du monde, c’est-à-dire sans prendre la physionomie impassible et indifférente qu’on doit y porter, celui-là blesse autant les convenances que l’homme qui s’en irait la face découverte à une mascarade. Quand le canon gronde, quand les balles sifflent, quand tous les bruits sublimes des tempêtes humaines se font entendre, de magnifiques expressions se montrent sur les traits du soldat ; quand le prêtre à l’autel élève son calice, quand le magistrat sur son siége interroge avec un respect plein de terreur la voix de sa conscience, le sentiment religieux qu’ils éprouvent se peint sur leur front ; mais soldat, magistrat et prêtre doivent tous avoir le même regard et le même sourire, quand le sort les réunit autour d’une table ou d’une cheminée. Il appartient au poète moins qu’à tout autre d’enfreindre la règle générale. Si la civilisation moderne ne lui a pas fait de place dans les solennités de la vie publique, il y a toujours un lieu qui répond pour lui au champ de bataille, à l’église, au tribunal : c’est le cabinet de travail où il est seul avec l’inspiration. Qu’il laisse éclater dans ce sanctuaire les divins enthousiasmes de son ame, et que, hors de là, il n’ait rien dans son extérieur qui trahisse sa vie, ce ne sera point seulement agir en homme du monde, ce sera agir en homme de cœur.

Ainsi donc nous repoussons dans la carrière poétique de Mme de Girardin toute la partie fastueuse et théâtrale. Eût-elle été véritablement Corinne, cette Corinne qui avait pourtant de si belles heures d’éloquence, nous laisserions à d’autres le plaisir de l’admirer ; mais Girardin n’avait de Corinne que son goût pour les pompes triomphales. La nature de son esprit ne la portait en aucune façon vers la poésie éclatante par laquelle elle débuta. Ce qui lui aurait été donné, si elle avait su comprendre les limites de son talent, c’eût été d’exprimer des pensées toutes mondaines dans un langage spirituel et quelquefois même d’une grace un peu cavalière. On rencontre dans son petit poème de Napoline quelques vers comme en peut inspirer le bois de Boulogne à un poète à la mode qui parcourt ses allées gracieusement penché sur le col d’un cheval anglais. Je regrette que Mme de Girardin ne se soit pas adonnée davantage aux compositions légères, et pourtant le genre badin, comme tous les autres, a quelque chose de malséant pour les femmes. Ainsi, je me souviens d’une chanson de Mme Deshoulières :