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œuvres, et ne reconnaîtrons-nous pas au contraire dans l’épanouissement ultérieur du christianisme cette prodigalité luxuriante de l’esprit universel qui fait que tous les ans il périt plus de fleurs et de germes qu’il ne s’en développe, sans que pour cela le printemps ait jamais manqué de venir à son heure ? »

En quittant la pauvre vieille, nous nous dirigeâmes vers l’Ermitage, la tête et le cœur si remplis de Jean-Paul, qu’il nous semblait le voir cheminer au milieu de nous comme le Sauveur parmi les disciples d’Emaüs. — Dans le jardin de l’Ermitage, nous devions le retrouver encore. Comment, en effet, assister au ravissant spectacle de ces lieux de plaisance, comment s’attarder sur le bord de ces larges pièces d’eau où nagent des tritons et des nymphes avec leurs cornes jaillissantes, où de grands saules échevelés se mirent en d’inaltérables transparences, comment s’égarer dans ces taillis à perte de vue, à travers ces clairières que décorent à chaque pas des kiosques, des pagodes, des temples du soleil, sans penser à la Loge invisible, à Titan, à toutes ces descriptions où son génie s’est inspiré de ce paysage féerique, des mille enchantemens de ce Versailles ducal ? Jean-Paul fréquentait presque journellement l’Ermitage, où l’attiraient les délicates prévenances d’un de ces princes d’Allemagne si naturellement enclins à rechercher le mérite. Seulement, pendant la belle saison, chaque fois que Jean-Paul venait au château, il fallait que son chien l’y suivît. Dès le premier jour, le poète s’était expliqué nettement là-dessus avec le prince, en lui disant que sans son chien il refuserait de s’asseoir même à la table de l’empereur, et le duc, qui tenait trop à la compagnie de Jean-Paul pour ne pas lui passer ses fantaisies humoristiques, ne manquait jamais d’inviter le chien.

Notre matinée avait été un pèlerinage à travers la vie de Jean-Paul. Sur le soir, nous nous acheminâmes vers sa tombe. Reposes-tu donc là, Jean-Paul ? Cette question, que la bonne vieille s’était faite, chacun de nous se la rappela à cette heure, et nous répondîmes tous : Non ! Et cependant autour de cette tombe, fermée il y a déjà près de vingt ans, plane encore cette lugubre et douloureuse impression de la mort qui s’élève des récentes sépultures, ce deuil sombre et mélancolique qui vous charge le cœur de larmes et l’incline vers la terre, lorsqu’il voudrait ouvrir ses ailes pour s’envoler à Dieu. Je ne sais si on l’a remarqué, mais, en présence des sépultures sur lesquelles des siècles ont passé, les impressions qu’on éprouve sont tout autres. Là, du moins, il semble que la mort ait dépouillé son caractère humain, ses conditions terrestres. Telle qu’elle nous apparaît