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JEAN-PAUL RICHTER.

place adjacente. Je n’avais que cinq mois lorsque mes parens m’emmenèrent avec eux à son lit de mort. Il était, au moment de mourir, vêtu de ses habits ecclésiastiques, ainsi que mon père me l’a souvent conté depuis. « Laissez, dit-il à mes parens, laissez le vieux Jacob imposer ses mains sur cet enfant et le bénir. » On m’éleva vers lui, et ses mains s’étendirent au-dessus de ma tête. Pieux aïeul ! saint homme ! bien des fois, lorsque la destinée m’a fait passer des ténèbres à la clarté du jour, de la tristesse à la sérénité, bien des fois j’ai pensé à cette main moribonde qui m’a béni, et jamais je ne cesserai de croire à sa bénédiction tant que je vivrai dans ce monde tout peuplé de miracles, dans ce monde que les esprits animent et sillonnent ; et aussi souvent que mes yeux se sont arrêtés sur cette cime bleue et ronde, aussi souvent j’ai senti descendre dans mon ame cette bénédiction de mon aïeul transfiguré, dont l’esprit immortel flotte désormais dans les vapeurs de la montagne. »

Il y a, parmi les créations de Jean-Paul, une ravissante physionomie de maître d’école de village que tout le monde sait par cœur en Allemagne, et qui rappelle trait pour trait cette excellente et sereine peinture de l’aïeul. Évidemment Maria Wuz, le paisible héros de l’idylle de Jean-Paul, descend en droite ligne du bonhomme, et le vieillard patriarcal qui compte chaque soir avec lui-même peut à bon droit revendiquer, dans la génération si nombreuse sortie de lui, cet honnête maître d’école, ce pauvre Maria Wuz, qui, en décembre, avait coutume de n’allumer sa chandelle qu’une heure après la nuit tombée, afin, disait-il, de récapituler son enfance dans l’obscurité, « et, tandis que le vent doublait sa fenêtre d’un épais rideau de neige et que le feu lui souriait par la bouche du poêle, fermait les yeux et voyait sur les prés couverts de neige son printemps flétri reverdir. »

Cependant la Rollwenzel eut bientôt interrompu notre rêverie égarée sur les traces du poète, et nous rappela des sommets du Kulmberg dans la petite chambre. « Quand je pense, poursuivit-elle, à tout ce qu’il a écrit, là, à cette place, et comme il se consumait sans relâche ! Il en aurait eu encore pour cinquante ans à écrire, il me l’a dit lui-même bien des fois, lorsque je le suppliais de se ménager et de ne pas laisser refroidir le dîner. Non vraiment, un pareil homme, on ne le verra plus, il n’était pas de ce monde. Que voulez-vous ? j’avais cette idée, moi, et je ne le lui cachais point. — Tenez, monsieur le conseiller, lui disais-je souvent, ne vous moquez pas de la vieille Rollwenzel, mais vous me faites l’effet d’une comète, d’un