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lendemain, au jour nouveau, lorsque j’ouvris ma fenêtre, et regardai (pour parler ici le langage de l’auteur d’Hesperus) de notre étroite auberge du Soleil d’Or dans l’immense hôtellerie de la terre, hôtellerie du soleil, s’il en fut, Baireuth avait secoué son masque blafard ; c’était un tout autre aspect : une ville régulière, avenante, respirant l’aisance et le bien-être par la figure épanouie de tous ses habitans. Mais un spectacle ravissant nous attendait sur le chemin de l’Ermitage, où nous nous engageâmes par une matinée des plus invitantes, et d’où la ville se révèle dans tous ses avantages et ses atours. Quoique d’une physionomie ordinaire, et par elle-même assez peu remarquable, Baireuth n’en forme pas moins avec ses environs un délicieux panorama. Doucement étendue au milieu d’un océan de verdure, les jardins qui foisonnent dans ses plaines la bercent en d’incessantes ondulations, tandis qu’une chaîne de collines, çà et là interrompue par de riantes échappées de feuillage, l’entoure comme d’une flottante ceinture. On arrive à Baireuth par une magnifique allée de châtaigniers. Mais, à moitié chemin de l’Ermitage, à l’endroit où le sentier tourne à gauche et forme un coude, voyez-vous cette petite auberge, et devant la porte, assise sous la tonnelle, une bonne vieille femme toute cassée par l’âge, qui nous salue d’un air cordial, comme d’anciens amis, et nous invite à entrer chez elle. Faisons halte un moment. « Bonne vieille, à quoi reconnais-tu que nous n’en voulons ni à ton vin, ni à ta bière ? » Elle ne nous demanda pas si nous avions faim, si nous avions soif, et, sans rien dire, nous conduisit avec mystère jusqu’en haut de l’escalier, puis, ouvrant une petite porte, s’écria, les larmes dans les yeux, un sourire de joie et d’orgueil sur les lèvres : « Voilà sa chambre ; pendant vingt ans, j’ai vu M. Jean-Paul s’enfermer là des jours entiers à écrire ; c’est là qu’il travaillait, qu’il se perdait à travailler ! Combien de fois lui ai-je dit : Monsieur le conseiller, vous vous tuez ; au nom du ciel, ménagez-vous, votre constitution n’y tiendra pas ! Bien souvent, lorsque je venais à deux heures lui annoncer que son dîner était prêt, il ne m’entendait pas, je frappais discrètement à cette porte, point de réponse ; alors j’entrais, et le trouvais comme en délire. Ses grands yeux enflammés et rouges lui sortaient de la tête, et il me regardait long-temps avant de revenir à lui. — Bonne Rollwenzel, me disait-il enfin, encore une petite heure. Une heure après, je revenais, mais l’esprit ne voulait jamais le quitter jusqu’au soir. Puis, lorsqu’il descendait l’escalier, ses genoux fléchissaient ; il allait de travers, et, de peur d’accident, je l’accompagnai mainte fois sans qu’il s’en aperçût. Ah Dieu ! Que