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à merveille. Bientôt cependant pâlissent et disparaissent insensiblement les féeriques châteaux d’or et de vapeur des premières années. Son soleil se traîne inaperçu d’une période à l’autre au-dessus de sa vie nuageuse et souterraine, et entre les douleurs et les devoirs le crépuscule arrive au soir de sa chétive existence. Et jamais elle n’a su ce dont elle était digne, et dans sa vieillesse elle a oublié tout ce qu’elle souhaitait autrefois, au matin de sa vie. Par intervalles seulement, à certaines heures, si quelque antique idole exhumée d’un cœur adoré jadis, ou quelque musique plaintive, ou quelque livre jette un rayon de soleil sur l’assoupissement glacial de son cœur, elle s’émeut et regarde oppressée et comme ivre de sommeil, et dit : Jadis il en était autrement autour de moi ; mais il y a de cela bien long-temps déjà, et je crois aussi que je me suis trompée alors. Puis elle se rendort paisiblement…

« Telles étaient les dispositions où je me trouvais dans le vis-à-vis. — Le soleil qui déclinait, cette belle figure résignée devant moi et surtout mes dissonances antérieures avec le conseiller artistique, en étaient à se résoudre en ce ton mineur. Au sortir de la lycantropie, on est un agneau de mansuétude, et jamais la piété n’est plus grande, dit Lavater, qu’au moment où l’on vient de commettre un péché. Voilà pourquoi, sans doute, tels saints qui spéculent sur une piété exagérée dans l’autre vie ne se font pas faute de bons péchés dans celle-ci. »

Transvaser l’esprit de Jean-Paul d’une littérature dans une autre n’est point tâche facile, et si nous insistons sur ce mode de citations, c’est qu’il nous a paru que des extraits, quelque peu frustes, si l’on veut, mais présentés d’une manière aussi complète que possible, donneraient sur l’ensemble de cette physionomie excentrique une idée plus juste et plus exacte que ne pourraient le faire çà et là quelques lignes isolées, quelques phrases choisies avec soin selon nos goûts, et laborieusement émondées. Du reste, nous aurons plus tard l’occasion de nous expliquer là-dessus. En attendant, revenons à notre voyage.

De Hof à Baireuth, nous parcourions le théâtre du roman en action qui se joue dans la préface de Quintus Fixlein. À Gefrees, nous nous arrêtâmes à l’auberge où le char de Pauline fait station. Les truites de Gefrees sont renommées par toute l’Allemagne, à peu près comme chez nous celles de Vaucluse ; malheureusement la pêche n’avait pas donné ce jour-là, et force fut, à défaut de truites, de nous contennter de l’eau de roche où elles vivent. Au sortir de Gefrees, nous