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détachent sous le bleu du ciel et semblent trois géans gardiens des magnificences de ce paysage. — De là, nous nous dirigeâmes vers le Kreuzberg, l’un des plus hauts sommets du Luxbourg. Une croix règne au pinacle, seul ornement convenable au sein de cette grande nature. La croix a pris naissance sur la montagne, dans le voisinage du firmament. Il n’y a rien de trop haut pour elle ; le calvaire touche de plus près au ciel que l’Himalaya.

D’Alexandersbad, le chemin conduit par Weisstadt sur la grande route de Hof, que nous atteignîmes vers Gefrees. De là jusqu’à Baireuth, nous voyageâmes encore de compagnie avec Jean-Paul. — Jean-Paul raconte qu’un jour, voulant écrire une préface pour la seconde édition d’un de ses romans, de Quintus Fixlein, et ne trouvant absolument rien à dire, il s’en alla se promener sur la route de Hof à Baireuth. — Or, chemin faisant et tandis qu’il cherche à piper une idée au soleil, notre homme aperçoit à quelques pas devant lui une légère carriole, et dedans la taille élégante et svelte d’une femme qu’il croit reconnaître, et dont il lui prend la fantaisie de voir les traits. Dès-lors, le voilà ballotté entre sa préface et son aventure ; le voilà tantôt s’arrêtant pour caresser une idée, tantôt doublant le pas pour rattraper le char qui prend les devans. — Une femme qu’on poursuit, une idée qu’on pourchasse, n’est-ce pas un peu notre histoire à tous, hommes et poètes ? Bien souvent, la femme nous échappe, l’idée aussi ; mais faut-il compter pour rien le plaisir d’avoir couru après ? Ce n’est pas le but qu’on doit envisager, mais le sentier, le sentier où l’on s’aventure tout haletant dans la gloire de la jeunesse, dans la plénitude de la vie et des amours. Ici, l’espérance nous accompagne à travers les prairies touffues, les ruisseaux clairs, les aubépines fleuries pleines de lumière et de chansons ; là-bas, c’est la fatigue et l’ennui qui nous attend. Avouons-le, nous ressemblons tous plus ou moins à ce Jean-Paul de la préface ; nous ne courons un but que pour nous élancer vers un autre aussitôt après l’avoir atteint, et nous payons d’avance la jouissance nouvelle par le dégoût dont l’ancienne nous soulève.

« Je voulais passer la dame pour voir son visage, et, tout en m’efforçant, je pensais peu à la contexture de ma préface, et poursuivais sans fruit le vis-à-vis. — Il n’en est pas des femmes inconnues comme des livres inconnus. Il ne m’arrive jamais de prendre un livre que je n’ai pas lu encore, sans supposer, comme du reste tout bon critique doit le faire, que ce livre est détestable ; au contraire, lorsqu’il s’agit d’une