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JEAN-PAUL RICHTER.

au cercle intime de Tiefurth et de Belvedere[1], à toute cette noble efflorescence dont le parfum est encore dans l’air aujourd’hui, lorsqu’au détour d’un sentier je me trouvai vis-à-vis d’une maisonnette de modeste apparence et qui se cachait comme un nid sous ces arbres ; j’entrai, et, tout en reprenant haleine, je lus sur le vieux mur délabré l’inscription qui suit :

Au-dessous de toutes les cimes est le repos ;
Écoute, dans le bois,
Point de bruit !
Les petits oiseaux dorment dans le bois !
Attends ! bientôt, bientôt,
Tu dormiras aussi !

J’écartai la mousse et les plantes grimpantes où ces vers se dérobaient, et je vis un peu plus bas le nom de Goethe. J’étais, sans le savoir, dans le petit ermitage où Goethe vint passer les derniers étés de sa vie. Je ne puis dire l’impression que fit sur moi cette pensée découverte ainsi par hasard. En un moment, le caractère de ces lieux avait changé, la mélancolie du paysage s’était accrue, l’heure était devenue plus solennelle ; et quand je descendis, au clair de lune, il me semblait à chaque pas que j’allais rencontrer l’ombre du grand poète, que cette inscription à demi effacée avait évoquée pour moi dans la nature.

Revenons au Louisenbourg, à notre cellule de rochers, dont la fenêtre s’ouvre sur l’infini. Sans nous laisser distraire davantage par le risible ameublement des lieux et les maculatures sentimentales dont la muraille abonde, contemplons l’immensité qui s’étend devant nos yeux, ces lointains dont la ligne pure se prolonge sans altération, ces images qui déroulent leurs pages blanches que la main des hommes n’a pas griffonnées. À nos pieds, un fond verdoyant d’où s’élèvent de molles collines, une prairie heureuse, avec des lacs qui dorment et des eaux vives qui serpentent ; puis, sur les hauteurs, parmi les champs bariolés, d’abord Schönbrunn, gracieux petit village dont le clocher reluit au soleil ; puis, plus loin, l’aimable Wonsiedel, qui sourit sous ses touffes de bouleaux. À gauche, le Schneeberg[2], l’Ochsen-Kopf[3], le Kössein, têtes colossales du Fichtelgebirg, se

  1. Résidences d’été des princes souverains de Saxe-Weimar.
  2. Schneeberg, montagne de neige.
  3. Ochsen-kopf, tête de bœuf.