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JEAN-PAUL RICHTER.

mélancolie et de tendre désespoir qui s’égare dans le bois au coucher du soleil, et qu’on trouve à l’aurore étendu sur un lit de gazon et de marguerites, près d’un frais ruisseau, le roman de Werther dans la main gauche, un pistolet dans l’autre, est un fou qui m’inspire plus de sympathie et d’intérêt que cet autre fou à qui son orgueil met dans la main un poignard, une arme dont il va frapper son semblable, un homme, roi ou citoyen, qu’il déclare traître à la patrie, et qu’il juge en dernier ressort, lui rêve-creux de liberté, lui plagiaire de Brutus. — Sand et Richter, l’églogue paisible et le drame sanglant, la pensée modeste qui s’exhale dans la solitude et l’action superbe qui monte sur un échafaud pour se grandir, tous les deux nés dans la même petite ville, porte à porte ! C’est là un de ces coups de la fatalité, — qui, lorsque la Providence réunit au point de départ deux élémens contraires, sans doute pour qu’ils se combattent, pour que l’instinct naturel absorbe l’autre, et que la raison humaine triomphe, — souffle dessus et les sépare dès le premier jour, entraînant l’un au pôle nord de la vie, l’autre au pôle sud. En effet, que ces deux natures entrent en rapport dès l’enfance, que Sand rencontre Jean-Paul à ses premiers pas dans la carrière ; et Sand échappera à sa mission, à sa destinée de meurtre ; et cette ame ardente jusqu’au fanatisme, baignée dès son aurore des tièdes rosées d’une philosophie modérée, s’épanouira dans le calme et la contemplation. Le malheur en avait disposé autrement. Le mélancolique penseur, le philosophe plein d’amour et de foi s’en était allé dès long-temps à ses vallons en fleurs, à ses clairs de lune, à ses Hespérides, et les vents qui poussent le salpêtre vers la flamme emportèrent Sand dans les universités de Tubingen et d’Heidelberg.

Avant de nous éloigner de Wonsiedel, adressons-lui encore pour adieux ces paroles de Jean-Paul : « Je suis heureux d’être né dans ton sein, petite ville au pied de la haute montagne, dont les pics se penchent sur nous comme des têtes d’aigles. Tu as taillé toi-même les degrés de ton trône de granit, et tes eaux salutaires donnent au malade la force de monter jusqu’au trône du ciel, jusqu’au maître suprême qui règne sur la vaste étendue des plaines et des villages. Je suis heureux d’être né dans ton sein, ville petite, mais si bonne et si luisante ! »

Ainsi notre auteur nous conduit jusqu’à Alexandersbad, situé à une petite demi-lieue de Wonsiedel, dont une colline d’élévation moyenne le sépare, et qui repose au sein d’une agréable prairie, sa jolie tête cachée parmi des touffes verdoyantes de bouleaux et de