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JEAN-PAUL RICHTER.

qué, qu’il affectionne : « Le 15 février de l’année 1763, la paix de Hubertsburg vint au monde, et, quelques semaines plus tard, l’auteur de cette histoire, en mars, c’est-à-dire qu’il arriva en même temps que les bécasses, les oies, les hoche-queues jaunes et gris et tous les oiseaux de marais, le 21 ; c’est-à-dire que, dans le cas où l’on eût voulu semer de fleurs son berceau, on avait à choisir entre le mouron et le cochlearia ; à l’heure la plus matinale de la journée, une heure et demie du matin ; mais ce qui couronne tout, c’est que le commencement de sa vie était aussi le commencement du printemps de cette année. »

La maison où Jean-Paul ouvrit les yeux est une petite maison de bien médiocre apparence, et qui ressemble à tant d’autres où de grands poètes sont nés : humble théâtre d’une fraîche idylle de printemps, à laquelle rien ne manque, ni le berceau ni la visitation, car, à défaut de rois, la Muse guidée par l’étoile qui tremblottait au ciel à cette heure vint sans doute saluer le nouveau-né et le baiser au front. Jean-Paul ne vécut que deux ans à Wonsiedel, dès 1765 son père ayant été appelé à Joditz pour y remplir le ministère de pasteur. Voilà tout ce qui reste du poète à sa ville natale, la place où fut son berceau, la pierre où sa main débile griffonna pour la première fois, la porte qui s’ouvrit pour lui sur la libre campagne de la vie. Jean-Paul raconte en ces termes les impressions qui lui sont restées de ces lieux : « Je me sens, à ma grande joie, en état de rapporter certains souvenirs pâles et confus à partir du quatorzième mois de ma vie, espèce de perce-neiges intellectuels qui montrent leur tête au-dessus du sol stérile de l’enfance. Je me souviens, par exemple, qu’un pauvre écolier m’avait pris en affection, m’élevait dans ses bras et me portait souvent dans une grande chambre noire pour me donner le lait de son déjeuner. Pendant plusieurs années, j’eus en moi une idée vague de ses caresses, comme aussi de sa personne. Malheureusement je ne sais plus son nom depuis long-temps ; mais s’il était possible qu’il vécût encore, si dans son grand âge, et au milieu de ses occupations littéraires, ces feuilles lui tombaient par hasard entre les mains, et s’il se souvenait d’un petit professeur qu’il a porté dans ses bras et couvert de caresses, — ah ! Dieu, si cela était qu’il voulût bien écrire, ou plutôt venir, le vieillard, chez l’homme déjà vieux ! Dans mon enfance, cette petite étoile des premiers souvenirs brillait encore assez clair à son firmament borné ; mais ensuite, elle s’est toujours effacée à mesure que la lumière de la vie montait plus haut.