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Il serait bien facile de dissiper ces terreurs de logicien. En politique, l’histoire, la logique de l’expérience, vaut mieux que la logique abstraite. Lorsqu’un peuple n’aime pas avant toutes choses la liberté, lorsqu’il n’est pas digne d’être libre, sera-t-il protégé contre les empiètemens du despotisme par une loi écrite, par une charte qui reconnaîtra deux organes du pays au lieu d’un seul, je veux dire un pouvoir législatif et un pouvoir constituant ? Là, au contraire, où la liberté, c’est la vie même de la nation, son intérêt le plus cher, sa passion la plus sentie, qui pourrait sérieusement redouter une conspiration du parlement contre les libertés publiques ? Et cette incroyable conspiration eût-elle lieu, sur qui en retomberaient les terribles conséquences ? Certes on n’a qu’à regarder autour de soi pour trouver la réponse, la réponse vraie, décisive, à ces questions. Dans un pays corrompu, sans vie politique, le pouvoir constituant est une plus faible garantie pour la liberté et l’indépendance nationale que le pouvoir législatif ; celui-ci du moins est porté à défendre ses droits, si ce n’est comme un principe de liberté pour tous, du moins comme un privilége pour lui ; le pouvoir constituant, composé d’ordinaire d’un grand nombre de personnes, n’agissant qu’accidentellement, à de rares intervalles, fait bon marché d’un droit dont il ne comprend ni ne sent l’importance. Il serait bien facile de citer des faits à l’appui de ces observations.

Au surplus, les conséquences extrêmes de tout système politique n’appartiennent pas au droit positif. Il ne peut ni les prévoir, ni les régler. Il doit supposer dans tous les esprits une certaine dose de prudence et de sagesse, Sans cela, le raisonnement conduirait à déclarer à priori tout gouvernement impossible. Les chambres ont le droit de refuser tout budget, la couronne toute sanction. Qu’arriverait-il, si chacun, à la première occasion, pour le plus léger motif, voulait user de la plénitude de son droit ?

Mais c’est trop insister sur ces spéculations oiseuses. Quant à nous, redisons-le, nous attachons une bien faible importance à la question de savoir si la loi sera une loi constitutive ou une loi ordinaire. Plaçons-la sans hésiter parmi nos lois ordinaires, si cela peut lui assurer la presque unanimité des suffrages. Ce qui importe, c’est que la loi soit bonne, et qu’elle mérite ainsi l’assentiment du pays.

Le gouvernement propose de fixer la majorité du roi à l’âge de dix-huit ans accomplis ; c’est l’âge fixé par l’assemblée constituante. C’est à la constitution de 1791 que le gouvernement a emprunté toutes les dispositions capitales de son projet. Pour nous qui voulons un roi qui ait pu, lui aussi, recevoir cette éducation mâle et sérieuse qui distingue tous les princes de la maison d’Orléans, nous ne pouvons pas songer à l’enlever avant l’âge de dix-huit ans aux soins de ses précepteurs. D’un autre côté, la régence est un état provisoire, compliqué, qui ne se prolongerait pas sans inconvéniens graves au-delà de l’âge où le roi peut avoir conscience de sa capacité. Si le régent a su gagner la confiance du roi, il l’éclairera de ses conseils même après la majorité. Si le roi croit, au contraire, avoir à se plaindre du régent, il est bon