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LES FEMMES POÈTES.

un même cercle, à répéter, quand ils descendent la montagne, les chants joyeux qu’ils faisaient entendre en la gravissant. Il est à désirer, au contraire, qu’on sente dans leurs œuvres le mouvement, la diversité de la vie humaine, les changemens qu’elle amène en se déroulant. Loin de perdre, à la variété des impressions, leurs vers y gagnent un charme et un intérêt incontestables ; mais les métamorphoses du poète doivent être produites par les révolutions qui se font en lui, non point par celles qui se font autour de lui. Or, le livre de Mme Desbordes-Valmore, au lieu de nous apprendre que certaines sources de poésie se sont taries dans son cœur, tandis que d’autres s’y sont ouvertes, nous apprend seulement que le poète en vogue, au lieu de s’appeler M. de Parny, s’appelle M. de Lamartine.

Sur qui la crainte de ne pas être à la mode pourrait-elle exercer plus d’empire que sur les femmes ? En être encore aux amours quand tout le monde parle d’archanges, songer encore à Vénus quand tout l’encens va à la Vierge, ce serait porter des tailles courtes quand la mode des tailles longues est revenue : aucune femme n’a jamais eu ce courage. Ce qui caractérise tous les talens féminins dont j’ai les œuvres devant moi, c’est une incroyable promptitude à répudier pour le costume de l’année nouvelle le costume de l’an passé. Les vrais poètes sont ceux qui, nés chrétiens aux temps antiques ou païens aux temps modernes, chantent le bonheur du ciel ou les plaisirs de ce monde sans s’inquiéter si leur voix est solitaire ou se marie à d’autres voix. Quand on crée, et le nom de poète veut dire créateur, c’est à son image, non pas à celle des autres, qu’il faut créer. L’originalité, qui n’est pas autre chose que la force, doit bien rarement se rencontrer chez les femmes ; on ne la trouve chez aucune de celles qui nous occupent aujourd’hui. Ainsi, l’histoire de Mme Tastu est celle de Mme Desbordes-Valmore. Dans ses premiers vers, Mme Tastu s’écrie, en déplorant la mort de Mme Dufrénoy :

Je vois sur l’Hélicon un long crêpe s’étendre.

Dans ses derniers vers, Mme Dufrénoy et l’Hélicon sont oubliés pour toujours ; la pièce qui termine le plus récent de ses recueils, la pièce qui est intitulée Adieu, est adressée à M. de Lamartine. Cependant, malgré le rapport que l’absence d’originalité établit entre elles, Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu offrent de grandes dissemblances. Mme Tastu est celle de nos femmes poètes qui a parlé le langage le plus correct, c’est un mérite dont il faut lui savoir gré ; c’est celle aussi qui s’est souvenu le plus souvent de son sexe dans les ma-