Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/633

Cette page a été validée par deux contributeurs.
629
LES ANGLAIS DANS L’HINDOUSTAN.

d’une si vive sollicitude. Voyons à quoi se réduisent à cet égard les bienfaits qu’elles lui doivent.

Si l’on jette les yeux sur une carte de l’Hindoustan, il est aisé de reconnaître combien était vaste ce qu’on appelait communément l’empire du grand Mogol. Je l’ai récemment parcouru à cheval dans tous les sens, du nord au sud, de l’est à l’ouest ; j’ai remonté ses plus grands fleuves depuis leur embouchure jusqu’à leur source ; j’ai visité les villes et les villages, reconnu les produits du sol, observé l’état de civilisation, la condition des castes depuis les plus élevées, jusqu’aux plus basses, sans oublier leurs lois, leurs mœurs, les traditions, qui ont tant d’influence sur la manière d’être des individus. Dans cette vaste étendue de pays, les terres sont généralement très fertiles, et quelques-unes, par exemple toutes celles du Bengale, surpassent en fécondité la vallée du Nil, non-seulement à raison de l’abondance du riz, du froment, du coton, et de toutes les autres choses nécessaires à la vie, mais aussi par ces productions si importantes que l’Égypte connaît à peine, telles que la soie, le sucre, l’indigo, etc. En considérant cette abondance et cette richesse de produits, j’ai été frappé et on ne peut plus surpris de la misère affreuse dans laquelle sont plongés les trois quarts des indigènes. Une contrée où les mères sont souvent forcées de vendre leurs filles pour se procurer un peu de pain est-elle une contrée heureuse ? Là où l’esclavage existe encore[1], la civilisation a-t-elle fait quelques progrès ? car, quoique l’esclavage soit prohibé dans les possessions anglaises, il y existe cependant de fait ; il n’est pas de jour où l’on ne fasse quelqu’une de ces ventes qui, sans être entièrement publiques, peuvent cependant être considérées comme telles. Pourtant cette espèce de servage, à quelques exceptions près, est encore préférable à la liberté dont jouissent des milliers d’infortunés errans autour des villages, le

  1. En 1837, pendant que j’étais à Calcutta, occupant une maison dans la rue Chitpodrad, à côté d’une famille mongole, une jeune femme, qui s’était échappée de la maison voisine, en passant sur les saillies que formaient les pierres du mur du premier étage, se présenta tout à coup à ma croisée, les mains jointes, les yeux égarés. Aussitôt qu’elle eut pénétré dans ma chambre, elle saisit mes pieds, qu’elle tenait étroitement embrassés, refusant de se lever jusqu’à ce que je lui promisse ma protection. Elle avait au cou les marques d’une chaîne ; sa bouche était saignante ; un coup qu’elle venait de recevoir lui avait brisé les trois dents de devant. Elle me raconta qu’elle vivait chez cette famille mongole depuis trois ans avec d’autres esclaves, qu’elles étaient presque toujours enchaînées, surchargées de travail et maltraitées. Je fis prévenir la police, qui la mena devant le magistrat, chez lequel elle fit sa déposition. Le Mongol ne fut pas puni.