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REVUE DES DEUX MONDES.

II.

Ô douce voix de la faiblesse,
Comme au cœur le plus dur vous entrez sans effort !
Honte à qui vous entend et lâchement s’endort !
Pour l’enfance pitié ! Pitié pour la vieillesse !
Le fort cache souvent l’épine qui le blesse.
Hélas ! pitié pour le plus fort !

Au seuil d’un cachot d’Italie,
Sur un marbre j’ai vu la Mère-de-Douleurs ;
J’ai vu son beau visage inondé de ses pleurs ;
Elle ouvrait aux passans une main qui supplie,
Et sa bouche disait avec mélancolie :
Ayez pitié de leurs malheurs !

Pour tous ceux que leur sort enlace,
Pitié ! cœurs sans espoir, corps usés de travaux,
Tous pareils en misère à ces pauvres chevaux,
Qui, sous l’équarrisseur, mornes, la tête basse,
Attendent qu’on leur donne enfin le coup de grace,
Signal de l’éternel repos.

III.

Le voilà couché dans la rue,
Jô-uenn, le noble et bon cheval !
À l’entour le peuple se rue,
Un peuple stupide et brutal.

Le mors a déchiré sa bouche,
Le brancard écorché ses reins,
Plaie où vient bourdonner la mouche ;
Les enfans arrachent ses crins.

Las ! Jô-uenn, toi qui sur la lande,
Du point du jour à son déclin,
Tondais les pousses de lavande,
Près de ta mère heureux poulain !