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humaines, les délicatesses idéales résistant aux intrigues les mieux ourdies, aux embûches les plus compliquées. Dans ce cas, le poète semble avoir pour but de proposer aux spectateurs un modèle achevé de la perfection humaine. Tout ce qu’il peut trouver de qualités, il l’entasse sur la tête de son prince ou de sa princesse ; il les fait plus soucieux de leur pureté que la blanche hermine, qui aime mieux mourir que d’avoir une tache sur sa fourrure de neige.

Un profond sentiment du catholicisme et des mœurs féodales respire dans tout ce théâtre, vraiment national d’origine, de fond et de forme. La division en trois journées, suivie par les auteurs espagnols, est assurément la plus raisonnable et la plus logique. L’exposition, le nœud et le dénouement, telle est la distribution naturelle de toute action dramatique bien entendue, et nous ferions bien de l’adopter, au lieu de l’antique coupe en cinq actes, dont deux sont si souvent inutiles, le second et le quatrième.

Il ne faudrait pas cependant s’imaginer que les anciennes pièces espagnoles fussent exclusivement sublimes. Le grotesque, cet élément, indispensable de l’art du moyen-âge, s’y glisse sous la forme du gracioso et du bobo (niais), qui égaie le sérieux de l’action par des plaisanteries et des jeux de mots plus ou moins hasardés, et produit, à côté du héros, l’effet de ces nains difformes, à pourpoint bariolé, jouant avec des lévriers plus grands qu’eux, qu’on voit figurer auprès de quelque roi ou de quelque prince dans les vieux portraits des galeries.

Moratin, l’auteur du Si delas Niñas, de El Cafe, dont on peut voir le tombeau au Père Lachaise de Paris, est le dernier reflet de l’art dramatique espagnol, comme le vieux peintre Goya, mort à Bordeaux en 1826, a été le dernier descendant reconnaissable encore du grand Velasquez.

Maintenant on ne représente plus guère sur les théâtres d’Espagne que des traductions de mélodrames et de vaudevilles français. À Jaën, au cœur de l’Andalousie, on joue le Sonneur de Saint-Paul ; à Cadix, à deux pas de l’Afrique, le Gamin de Paris. Les saynetes, autrefois si gais, si originaux, d’une si haute saveur locale, ne sont plus que des imitations empruntées au répertoire du théâtre des Variétés. Sans parler de don Martinez de la Rosa, de don Antonio Gil y Zarate, qui appartiennent déjà à une époque moins récente, la Péninsule compte cependant plusieurs jeunes gens de talent et d’espérance ; mais l’attention publique, en Espagne comme en France, est