tendions tinter dans le lointain, comme des notes d’harmonica, les sonnettes des ânes partis en avant avec nos bagages, ou quelque mozo de mulas chanter des couplets d’amour avec ce ton guttural et ces portemens de voix toujours si poétiques la nuit dans les montagnes. C’était charmant, et l’on nous saura gré de rapporter ici deux stances, probablement improvisées, qui nous sont restées gravées dans la mémoire par leur gracieuse bizarrerie :
Son tus labios dos cortinas |
Tes lèvres sont deux rideaux |
Nous eûmes bientôt dépassé Cacin, où nous traversâmes à gué un joli torrent de quelques pouces de profondeur, dont les eaux claires papillottaient sur le sable comme des ventres d’ablettes, et se précipitaient comme une avalanche de paillettes d’argent sur le penchant rapide de la montagne.
À partir de Cacin, la route devint horriblement mauvaise. Nos mules avaient des pierres jusqu’au ventre et des aigrettes d’étincelles à chaque pied. Nous montions, nous descendions, côtoyant les précipices, traçant des zigs-zags et des diagonales, car nous étions dans les Alpujaras, inaccessibles solitudes, chaînes escarpées et farouches, d’où les Maures, à ce que l’on dit, ne purent jamais être complètement expulsés, et où vivent cachés à tous les yeux quelques milliers de leurs descendans.
À un tournant de la route, nous eûmes un instant de belle frayeur. Nous aperçûmes, à la faveur du clair de lune, sept grands gaillards drapés dans de longs manteaux, le chapeau pointu sur la tête, le trabuco sur l’épaule, qui se tenaient immobiles au milieu du chemin. — L’aventure poursuivie depuis si long-temps se produisait avec tout le romantisme possible. Malheureusement les bandits nous saluèrent fort poliment d’un respectueux : vayan ustides con Dios. Ils étaient précisément le contraire de voleurs, étant miquelets, c’est-à-dire gendarmes. Ô déception amère pour deux jeunes voyageurs enthousiastes qui auraient volontiers payé une aventure au prix de leurs bagages !