après soi des escortes nombreuses armées jusqu’aux dents qui coûtent fort cher et offrent moins de certitude, car habituellement les escopeteros sont des voleurs à la retraite.
Il est d’usage en Andalousie, lorsqu’on voyage à cheval, et que l’on va aux courses, de revêtir le costume national. Aussi, notre petite caravane était-elle assez pittoresque, et faisait-elle fort bonne figure en sortant de Grenade. Saisissant avec joie cette occasion de me travestir en dehors du carnaval, et de quitter pour quelque temps l’affreuse défroque française, j’avais revêtu mon habit de majo : chapeau pointu, veste brodée, gilet de velours à boutons de filigrane, ceinture de soie rouge, culotte de tricot, guêtres ouvertes au mollet. Mon compagnon de route portait son costume de velours vert et de cuir de Cordoue. D’autres avaient la montera, la veste et la culotte noires ornées d’agrémens de soie de même couleur, avec la cravate et la ceinture jaunes. Lanza se faisait remarquer par le luxe de ses boutons d’argent faits de piécettes à colonnes soudées à un crochet, et les broderies en soie plate de sa seconde veste portée sur l’épaule comme le dolman des hussards.
La mule qu’on m’avait assignée pour monture était rasée à mi-corps, ce qui permettait d’étudier sa musculature aussi commodément que sur un écorché. La selle se composait de deux couvertures bariolées pliées en double pour atténuer autant que possible la saillie des vertèbres et la coupe en talus de l’épine dorsale. De chaque côté de ses flancs pendaient, en façon d’étriers, deux espèces d’auges de bois assez semblables à des ratières. Le harnais de tête était si chargé de pompons, de houppes et de fanfreluches, qu’à peine pouvait-on démêler à travers leurs mèches éparses le profil revêche et rechigné du quinteux animal.
C’est en voyage que les Espagnols reprennent leur antique originalité, et se dépouillent de toute imitation étrangère ; le caractère national reparaît tout entier dans ces convois à travers les montagnes qui ne doivent pas différer beaucoup des caravanes dans le désert. L’âpreté des routes à peine tracées, la sauvagerie grandiose des sites, le costume pittoresque des arrieros, les harnais bizarres des mules, des chevaux et des ânes marchant par files, tout cela vous transporte à mille lieues de la civilisation. Le voyage devient alors une chose réelle, une action à laquelle vous participez. Dans une diligence, l’on n’est plus un homme, l’on n’est qu’un objet inerte, un ballot ; vous ne différez pas beaucoup de votre malle. On vous jette d’un endroit à un autre, voilà tout. Autant vaut rester chez soi. Ce qui constitue